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Surprises de fin d’année

Strasbourg
Opéra national du Rhin
12/06/2024 -  et 7, 8, 10, 11, 12*, 13 (Strasbourg), 20,21, 22, 23 (Mulhouse) décembre 2024
Casse-Noisette
Rubén Julliard (chorégraphie), Piotr Ilyitch Tchaïkovski (musique)
Ballet de l’Opéra national du Rhin
Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, Luciano Bibiloni (chef de la Maîtrise), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Sora Elisabeth Lee (direction musicale) Marjolaine Mansot (scénographie), Thibaut Welchlin (costumes), Marco Hollinger (lumières)


(© Agathe Poupeney)


Equipe très jeune pour ce nouveau Casse-Noisette du Ballet de l’Opéra national du Rhin. Danseur issu de la troupe, le chorégraphe français Rubén Julliard n’a que trente‑trois ans, et pas encore beaucoup de créations à son actif. Formée à l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg (TNS), dont elle est sortie en 2020, la scénographe Marjolaine Mansot n’est pas non plus familière des grands formats. Quant au costumier Thibaut Welchlin, qui a lui aussi fréquenté l’Ecole du TNS, mais vingt ans plus tôt, il ferait presque figure ici de vétéran. Du moins c’est lui seul qui peut se targuer d’une véritable « bouteille », et cela se ressent beaucoup au cours de cette création, au demeurant toujours intéressante, mais où les cent soixante costumes très divers qu’il signe apportent une note d’imagination décisive. Au cours d’un dernier acte prudemment restreint à une sorte de paradis des jouets, en vue de ne froisser personne (donc surtout rien de trop arabisant, ni de chinois...), c’est en tout cas lui qui crée l’événement. Astucieuse superposition d’un couple de danseurs sous une robe andalouse à étages, paire de danseuses en miroir avec chacune une clé‑remontoir géante collée dans le dos, quatre couples très botaniques, les garçons en salopette végétale verte et les filles en corolles de couleurs vives pour la « Valse des fleurs », et enfin, clou génial qui fait longuement pouffer de rire tous les enfants présents dans la salle, les reptations ondulantes d’un étonnant costume qui transforme le danseur qui l’occupe en un ressort spiralé constamment mobile (un Slinky, pour être précis).


Argument par ailleurs un rien pauvre, le vieil original Drosselmeyer étant remplacé par un couple moderne d’excentriques, donc « les » Drosselmeyer, qui deviennent, avec la jeune Clara, les rôles essentiels de cette relecture, qui commence à vive allure, et même très bien. Ambiance festive chez deux loufoques qui bricolent un peu partout, sur des établis disséminés dans leur loft, en construisant notamment des jouets auxquels le passage par un placard magique peut donner instantanément vie. De beaux moments d’originalité, Rubén Julliard sollicitant beaucoup les corps en mouvements anguleux qui désaxent latéralement les centres de gravité, au cours d’une remuante soirée de Noël branchée où on s’amuse beaucoup entre jeunes adultes, mais où les surprises ont leurs limites, du fait d’un décor et d’éclairages qui ne ménagent pas assez de gradations et de rebondissements. La magie de l’apparition du Casse‑Noisette, silhouette dégingandée qui progresse lentement en diagonale sur un rai de lumière sortant du fameux placard, reste malheureusement trop isolée. Combat avec les souris un peu lugubre, inquiétant, athlétique, ces rongeurs se révélant d’une telle ténacité qu’ils restent en fait présents et agressifs quasiment jusqu’à la fin de la soirée. Ballet des flocons de neige délibérément convenu mais joli, avec le chœur d’enfants non pas hors‑scène mais bien présent et visible, en deux groupes, côtés cour et jardin, et puis enfin cette longue séquence de divertissement où les jouets sortent l’un après l’autre de cartons dorés de diverses tailles avant d’y disparaître à nouveau, une fois leur numéro effectué. Beaucoup de bonnes idées, mais des enchaînements qui paraissent encore un peu bricolés, ce Casse‑Noisette peinant à unifier son inventive série de trouvailles en un spectacle dont la succession de départs de feu d’artifice pourrait laisser définitivement petits et grands bouche bée.



(© Agathe Poupeney)


Un manque de reprise du moteur rendu d’autant plus flagrant par la constante vivacité de couleurs de ce qui sort de la fosse, où la jeune cheffe Sora Elisabeth Lee dynamise l’Orchestre philharmonique de Strasbourg sans jamais le brusquer. La magie et la féerie instrumentales de Casse‑Noisette sont continuellement présents, chaque élément venant s’imbriquer dans son contexte avec un sens très sûr des progressions. Il y a bien là un véritable « effet Lee », que l’on avait déjà pu constater, à l’identique il y a deux mois à Nancy, lors de l’intéressant spectacle Hindemith/Bartók/Honegger intitulé « Héroïne », et sans qu’on parvienne d’ailleurs vraiment à s’en expliquer les déterminants. Cette gestique ample et dépourvue de tout effet de manche superflu, possède indéniablement un pouvoir d’entraînement particulier. En tout cas une artiste à suivre de près.


Le programme de salle ne citant aucun des danseurs de la distribution, il faut se référer à un affichage discret dans les couloirs pour savoir qui interprète quoi. Une humilité synonyme aussi d’excellence, tout le monde ici, jusqu’au plus petit rôle, donnant l’impression de s’impliquer à son meilleur. Parfait Casse‑Noisette, longiligne, dégingandé, sensible, du brésilien Cauê Frias, couple Drosselmeyer toujours expressif, incarné par Pierre‑Emile Lemieux‑Venne et Susie Buisson, dont le pas de deux d’apothéose, chorégraphié avec une belle imagination par Rubén Julliard, suscite bien l’impression de maîtrise technique attendue. Et puis aussi la sensible Clara de la toute menue Di He, aussi convaincante dans ses pantomimes très directes que quand il faut revisiter des difficultés techniques plus classiques. Et n’oublions pas la performance de Jesse Lyon, entièrement dissimulé par son costume élastique de ressort qui se dilate et se contracte continuellement, en d’imprévisibles ventres et nœuds. Car si ce soir la conception scénique avoue parfois ses limites, en revanche le potentiel technique de la compagnie s’avère de bout en bout exceptionnel.



Laurent Barthel

 

 

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