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Lumières d’automne

Baden-Baden
Festspielhaus
11/17/2024 -  
17 novembre 2024
Joseph Haydn : Die Schöpfung
Anna Prohaska (Gabriel), Julian Prégardien (Uriel), Florian Boesch (Raphael), Heidi Baumgartner (Eva), Josua Bernbeck (Adam)
Balthasar-Neumann-Chor, Balthasar-Neumann-Orchester, Thomas Hengelbrock (direction)


22 novembre 2024
Christoph Willibald Gluck : Iphigénie en Tauride
Tara Erraught (Iphigénie), Domen Krizaj (Oreste), Paolo Fanale (Pylade), Armando Noguera (Thoas), Marianne Croux (Diane)
Balthasar-Neumann-Chor, Balthasar-Neumann-Orchester, Thomas Hengelbrock (direction)


24 novembre 2024 - et 3 (Luxembourg), 5 (Bruxelles), 6 (Amsterdam), 8 (Hamburg), 11 (Essen), 22 (Köln), 26 (Wiesbaden), 28 (Paris), 30 (Zürich) novembre 2024
Christoph Willibald Gluck : Orfeo ed Euridice
Cecilia Bartoli (Orfeo), Mélissa Petit (Euridice, Amore)
Il Canto di Orfeo, Les Musiciens du Prince – Monaco, Gianluca Capuano (direction)


T. Hengelbrock (© Andrea Kremper)


« Encore plus de Festivals, tout simplement », tel est l’actuel mot d’ordre à Baden‑Baden. Le Festspielhaus a certes toujours étalé son activité sur toute l’année, mais la programmation s’y articule de plus en plus délibérément maintenant en une succession de courts festivals, dotés chacun d’une identité artistique différente.


Ambiance jeune et branchée pour le takeover de février, programmation printanière prestigieuse pour les Osterfestspiele (qui seront marqués en 2025 par l’ultime résidence pascale des Berliner Philharmoniker, mais il est déjà prévu que ceux‑ci reviennent régulièrement, au cours des prochaines années, à un autre moment du calendrier), mise à l’honneur des classiques du Vingtième siècle lors des Pfingstfestspiele à la Pentecôte, longues journées estivales et amicales en juillet, autour de la personnalité charismatique de Yannick Nézet‑Séguin pour « La Capitale d’été », carte blanche au chorégraphe John Neumeier en septembre, exploration thématique des Dix‑huitième et Dix‑neuvième siècles par Thomas Hengelbrock en novembre, au cours d’un festival automnal joliment nommé « La Grande Gare », hommage au bâtiment même du Festspielhaus, qui intègre dans sa structure architecturale l’ancienne gare historique de Baden‑Baden, et enfin, en décembre 2025, de nouveaux Winterfestspiele, confiés au chef hongrois Iván Fischer, personnalité charismatique a priori apte à combler le trou béant laissé à cette période de l’année par Valery Gergiev et ses troupes du Mariinsky, qu’il devient improbable de pouvoir croiser de sitôt dans nos contrées.


Donc, sous la direction de l’intendant Benedikt Stampa, une programmation qui mise beaucoup sur des personnalités pivot, judicieusement choisies, en vue de conserver une image de marque de star‑system plutôt luxueuse, mais aussi de l’infléchir vers des aspects plus conviviaux et plus imaginatifs. Sur le papier, les propositions paraissent attractives, et force est de constater, à l’épreuve de la réalité, que le haut niveau artistique et la cohérence de la programmation de cette édition 2024 de « La Grande Gare », sont effectivement révélateurs d’un vrai tournant.


Gluck, Mozart, Haydn : l’hommage automnal rendu par Thomas Hengelbrock et son Ensemble Balthasar Neumann au siècle des Lumières est appuyé. Et, de fait, il prend à notre époque récente, où les lumières de la rationalité vacillent dangereusement, un poids encore plus significatif. Toute exécution de la géniale Création de Haydn, inspiration constamment limpide et poétique, d’un compositeur au sommet de son art, est de toute façon un moment privilégié. Mais dans le contexte actuel, les messages d’un naïf optimisme véhiculés par cette œuvre ne peuvent être que ressentis collectivement comme une stimulation extrêmement forte, a fortiori quand ils sont restitués par des musiciens unis par une ferveur aussi particulière. Car c’est vraiment à une constante jubilation qu’invite la direction de Thomas Hengelbrock, vive mais jamais crispée, l’impression d’aération dans le dialogue entre un chœur de format moyen et un orchestre relativement fourni d’instruments anciens restant toujours minutieusement entretenue. Jamais de lourdeurs, même lors des passages les plus chargés, et globalement, une sensation d’évidence ressentie comme rarement. Seul prix à payer : une certaine indocilité du matériel instrumental « d’époque », a fortiori quand les tuyaux sont encore froids, comme au début, lors d’un chaos véritablement... chaotique. Sur le premier accord, on serait même bien en peine d’identifier quelle note sort des trompettes naturelles : en fait plutôt un borborygme sans hauteur définie. Mais beaucoup moins d’errances sont à déplorer ensuite. On notera d’ailleurs les remarquable progrès accomplis en bientôt trente ans, et par l’Ensemble Balthasar Neumann, phalange restée longtemps relativement terne, et plus encore du Chœur Balthasar Neumann, aujourd’hui d’une remarquable égalité de niveau à tous les pupitres.


Très bel ensemble de solistes, parmi lesquels un Florian Boesch idéal de simplicité et de bonhomie, dans ce rôle de Raphaël qu’il a souvent parcouru sous la direction de Thomas Hengelbrock, et un aérien Julian Prégardien, dont le chant tout en nuances et en luminosité s’accorde idéalement avec le fruité particulier d’une petite harmonie aux couleurs boisées – l’extatique n° 29 (« Aus Rosenwolken ») est un petit miracle. Dans ce trio de tête, seule Anna Prohaska dépare, avec de curieux problèmes d’homogénéité des registres, voire quelque chose de péniblement crispé dans l’émission et l’attitude générale, sans même parler d’un insolite look vestimentaire de punkette du soir, tulle noir sur cuir noir, pas vraiment en situation. En revanche, avec les délicieux Adam et Eve de Josua Bernbeck et Heidi Baumgartner, le casting donne en plein dans le mille : juvénilité, grâce, aisance, et en plus une délicieuse naïveté, accentuée à l’orchestre par petites touches génialement dosées. De quoi hisser le n° 32 (« Holde Gattin ») vers d’inoubliables sommets !


Distribution bien choisie aussi pour Iphigénie en Tauride, avec là des impératifs particulièrement difficiles à satisfaire. Si l’intelligibilité du français de la mezzo‑soprano irlandaise Tarra Erraught n’est pas toujours son point fort, on ne peut que rendre les armes devant l’élégance de sa ligne vocale, un permanent combat pour garder un soutien correct sur des phrases interminablement longues et nobles restant toujours artistement camouflé. Vraiment beau, même si stylistiquement la conception du rôle reste d’un tragique un peu sous‑caractérisé, en dépit des efforts de Thomas Hengelbrock, toujours très présent pour tenter d’accentuer la tension du propos. Très décents Oreste de Domen Krizaj et Pylade de Paolo Fanale, avec une petite mention particulière pour l’intuition tragique du second, le premier, fin chanteur de troupe à l’Opéra de Francfort, restant un rien plus routinier dans ses effusions. Dignement complétée par le Thoas délibérément fruste et sonore d’Armando Noguera, cette affiche parvient à rendre plutôt vivante une action restituée de façon lisible, version certes de concert, mais sans partitions pour les solistes, et dans l’ensemble aussi intense que possible.


Du côté orchestral, pourrait-on pousser l’urgence plus loin ? La tempête initiale manque de grand souffle, et l’Ensemble Balthasar Neumann paraît en terrain nettement moins familier que dans Haydn. En tout cas, on apprécie l’attention constante portée par Thomas Hengelbrock aux chanteurs, même si certaines clés expressives de ce répertoire pour sociétaires à haut potentiel ne sont pas vraiment trouvées. A noter une curieuse coupure à la fin de l’acte II, qui se termine de façon abrupte avec l’air « Malheureuse Iphigénie », et aussi une salle bien trop peu remplie. Parce que la location du Requiem de Mozart du lendemain, toujours dirigé par Thomas Hengelbrock, a en revanche fait un carton ? Dommage que le public des habitués du festival n’ait toujours pas pris l’habitude de faire davantage confiance à son nouvel intendant, du moins dès lors qu’il s’agit de sortir un peu des sentiers battus. Mais ceci viendra peut‑être avec le temps.



G. Capuano, M. Petit, C. Bartoli (© Andrea Kremper)


Suite à un prévisible « effet Bartoli », le Festspielhaus est à nouveau bien garni pour l’autre opéra de Gluck de la programmation. Un Orfeo ed Euridice donné dans l’une de ses multiples versions alternatives, ici une version dite « de Parme » (1769), mouture assez peu différente de l’original viennois de 1762, si ce n’est dans sa distribution instrumentale, avec moins de pupitres de vents, et dans sa transposition du rôle‑titre vers l’aigu (« Che farò senza Euridice » notamment, chanté une tierce plus haut, pour l’adapter à la tessiture d’un castrat non plus alto mais soprano). Pour le reste, c’est bien d’une version italienne standard qu’il s’agit, la condensation de l’ensemble en un seul acte restant de toute façon une particularité relativement théorique. Quant à l’absence de lieto fine, qui paraît étonnamment incongrue, cette « version de Parme » ayant été donnée en 1769 à l’occasion d’un mariage princier, où un dénouement aussi tragique aurait pour le moins gâché l’ambiance festive de rigueur, il s’agit en fait d’une option personnelle du metteur en scène Christof Loy, expérimentée lors d’une production de l’ouvrage à Salzbourg, en 2023, avec déjà sensiblement la même équipe musicale. Cette proposition est intégralement reprise au cours de cette version de concert, donc une fin coupée et remplacée par la reprise du chœur de déploration initial, charcutage licite dans le cadre d’une dramaturgie moderne, mais des plus contestables quand on essaie, comme ici, en entretenant une sorte de complaisant flou artistique, de le faire passer pour une prétendue particularité historique.


Du spectacle de Salzbourg, s’agissant globalement des mêmes chanteurs et musiciens, au détail près que notre compatriote Mélissa Petit incarne cette fois deux rôles, aussi joliment chantés l’un que l’autre, celui de l’Amour et celui d’Eurydice, cette version de concert conserve certains aspects, solistes et chœur évoluant autour d’un orchestre réduit, qui joue debout, au centre du plateau. Donc plutôt une mise en espace, si ce n’est très convaincante, du moins qui tente de plonger les spectateurs dans une ambiance relativement évocatrice. Pour l’occasion, Cecilia Bartoli réendosse un tailleur pantalon sombre similaire à celui qu’elle portait à Salzbourg, et sans doute d’assez nombreuses attitudes mises au point l’an dernier. Un investissement du rôle intense, mais qui, vocalement, déçoit relativement, par un timbre devenu plus émacié. Même dans les passages de plus grande vélocité (qui incluent un « Che farò senza Euridice » pris paradoxalement à un train d’enfer), la diva italienne semble peu à l’aise, paraissant davantage caricaturer sa propre image que proposer encore une incarnation défendable. Conception orchestrale également prévisible, Giancarlo Capuano dirigeant exactement selon les standards qu’il a mis au point depuis longtemps maintenant, dont une insistance particulière sur l’utilisation dramatique de nuances piano longuement maintenues jusqu’aux confins parfois du silence. Donc une soirée courte, et d’un niveau musical toujours intéressant, mais dont le prestige reste peut‑être davantage virtuel que réel.



Laurent Barthel

 

 

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