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Ouverture de saison en majesté

Milano
Teatro alla Scala
12/07/2024 -  et 10, 13*, 16, 19, 22, 28 décembre 2024, 2 janvier 2025
Giuseppe Verdi : La Forza del destino
Fabrizio Beggi (Il marchese di Calatrava), Anna Netrebko*/Elena Stikhina (Donna Leonora), Ludovic Tézier*/Amartuvshin Enkhbat (Don Carlo di Vargas), Brian Jagde/Luciano Ganci* (Don Alvaro), Vasilisa Berzhanskaya (Preziosilla), Alexander Vinogradov*/Simon Lim (Padre guardiano), Marco Filippo Romano (Fra Melitone), Marcela Rahal (Curra), Huanhong Li (Un alcade), Carlo Bosi (Mastro Trabuco), Xhieldo Hyseni (Un chirurgo)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Riccardo Chailly (direction musicale)
Leo Muscato (mise en scène), Federica Parolini (décors), Silvia Aymonino (costumes), Alessandro Verazzi (lumières), Michela Lucenti (chorégraphie)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


Dès les premières notes de l’Ouverture, le doute n’est pas permis : nous allons assister ce soir à une soirée d’opéra d’anthologie, sur le plan musical du moins. A la tête d’un Orchestre de la Scala de Milan des grands soirs, un Riccardo Chailly particulièrement inspiré et impliqué offre une lecture vive, pulsante et incisive de La Force du destin de Verdi, qui ouvre la saison 2024‑2025 de l’illustre théâtre. Une lecture particulièrement contrastée et théâtrale aussi, d’une forte intensité, avec une pâte sonore allégée et claire, qui fait entendre les moindres détails des splendides solos orchestraux dont le compositeur a parsemé sa partition. Une lecture, enfin, parfaitement équilibrée entre drame et comédie, entre tension et légèreté. En un mot comme en cent : une lecture magistrale. La version de cette nouvelle production est celle que Verdi a remaniée pour la Scala en 1869, sept ans après la création de l’ouvrage à Saint‑Pétersbourg. Dans un répertoire qui fait partie de son ADN, le Chœur de la Scala se montre, lui aussi, sous son meilleur jour, confondant de précision, d’expressivité et d’équilibre entre les registres.


Le metteur en scène Leo Muscato place l’opéra sous le signe de la guerre, avec des images de désolation et de dévastation au réalisme cru, avec force soldats tués ou blessés et personnes misérables. La première partie du spectacle (actes I et II) se déroule au XVIIIe siècle, la deuxième (acte III) au début du XXe, pendant la Première Guerre mondiale, et la dernière (acte IV) de nos jours, dans ce qui ressemble à un camp de réfugiés dans une ville en ruines. Surplombé par un cercle de lumière, le plateau qui ne cesse de tourner – toujours dans le sens des aiguilles d’une montre – permet d’enchaîner rapidement et avec beaucoup de fluidité les différentes scènes de l’ouvrage. On voit ainsi défiler les saisons (les arbres sont tantôt nus, tantôt couverts de feuilles) et les années, dans l’implacable mouvement du temps. Chaque scène est truffée d’innombrables détails et la direction d’acteurs est réglée au cordeau.


Initialement, la distribution vocale devait aligner, pour les trois rôles principaux, les mêmes interprètes qu’à Londres en mars 2019 : Anna Netrebko, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier. Le ténor allemand ayant déclaré forfait quelques semaines avant le début des répétitions, il a été remplacé par Brian Jagde. Mais, pour la troisième représentation de la série, ce dernier a dû annuler sa participation à la dernière minute pour pouvoir assister à la naissance de son enfant, et c’est Luciano Ganci – prévu au départ pour les deux dernières représentations – qui a pris sa place. Le ténor italien a ainsi sauvé la soirée et, rien que pour cela, mérite toute la reconnaissance du public, même si sa prestation est honorable, sans plus : l’interprète force constamment ses moyens, surtout dans l’aigu, et son chant, certes puissant et vaillant, apparaît peu nuancé et son timbre peu séduisant. Les premières notes d’Anna Netrebko laissent craindre le pire tant la chanteuse présente de gros soucis d’intonation, mais l’interprète se reprend vite et offre globalement une superbe prestation en Leonora, avec des aigus splendides, des sons filés incroyables, une infinie palette de couleurs, une voix riche en harmoniques et, une fois n’est pas coutume, un engagement de tous les instants. Malgré un jeu scénique un peu limité, Ludovic Tézier incarne un magnifique Don Carlo di Vargas, avec son chant noble et racé, son timbre cuivré, son superbe legato et sa diction irréprochable. Dans le rôle comique de Fra Melitone, quel bonheur d’avoir pour une fois, avec Marco Filippo Romano, un interprète qui n’en fait pas des tonnes et au chant stylé ! En Padre guardiano, Alexander Vinogradov impressionne par son timbre profond et généreux, malgré un léger vibrato. Avec ses vocalises impeccables et son chant d’une grande précision, Vasilisa Berzhanskaya fait forte impression en Preziosilla pour une fois pas du tout débraillée. Les comprimari sont tous excellents, ce qui est tout à l’honneur de la Scala. On l’a dit, une soirée mémorable, surtout pour sa partie musicale.



Claudio Poloni

 

 

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