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Les inclassables du quatuor Vienna Konzerthaus 12/13/2024 - et 19 (Frankfurt), 21 (Schwerin), 23 (Oxford) septembre, 13 (Paris), 15 (Basel), 16 (Budapest), 17 (Göppingen) octobre, 9 (London), 12 (Neumarkt in der Oberpfalz), 17 (Mont‑Saint‑Aignan) décembre 2024, 14 (Dortmund), 15 (Düsseldorf) janvier 2025 Joseph Haydn : Quatuor n° 78 « Sonnenaufgang », opus 76 n° 4
Benjamin Britten : Trois Divertimenti
Ludwig van Beethoven : Quatuor n° 13, opus 130 Quatuor Ebène : Pierre Colombet, Gabriel Le Magadure (violon), Marie Chilemme (alto), Yuya Okamoto (violoncelle)
Y. Okamoto, G. Le Magadure, M. Chilemme, P. Colombet (© Julien Mignot)
Les qualités instrumentales déployées par le Quatuor Ebène en concert sont une perpétuelle source d’émerveillement. Leur intonation, d’une précision presque irréelle, est accompagnée d’une palette de timbres et de dynamiques qui semble inépuisable ; la complémentarité entre les pupitres est idéale – alliage de la virtuosité sensuelle de Pierre Colombet ; de la capacité de Gabriel Le Magadure à prendre son relais sur un parfait pied d’égalité, ou de s’effacer instantanément le moment suivant ; du liant de l’alto de Marie Chilemme qui offre une transition harmonieuse entre les cordes aiguës et graves ; et du violoncelle à la fois affable et sobre de Yuya Okamoto. Tout cela est mis au service d’une étude approfondie, dépourvue d’a priori, des œuvres qu’ils interprètent.
Ainsi le quatuor de Haydn dit du « Lever de soleil » rayonne avec une intense expressivité, libérée de tout maniérisme ou d’excès romantisant. Le rubato et le vibrato sont toujours appliqués avec justesse ; le menuet en offre un parfait exemple, l’esprit de la danse étant tout d’abord installé par de subtiles suspensions de la pulsation, suivi d’un bourdon de cornemuse rugueux à souhait qui se conclut par une pirouette galante où le vibrato reprend subitement vie. Tout cela est exécuté avec spontanéité et grâce.
Les Trois Divertimenti de Britten offrent un aperçu fascinant du talent précoce d’un compositeur alors dans sa vingtaine, esquissant les prémices de ses quatuors de maturité. Le Quatuor Ebène en livre une interprétation à la fois engagée et structurée, d’une rigueur mathématique, agrémentée d’une légère pointe d’ironie qui souligne le caractère d’échelle encore modeste et sans prétention de ces pièces rarement programmées.
En seconde partie, le Treizième Quatuor de Beethoven, proposé avec le final de sa version originale, promettait une performance monumentale. Il n’en fut rien : contre toute attente, l’approche sans préjugé des musiciens redonne à l’œuvre sa taille humaine, rendant limpides les enchaînements harmoniques les plus audacieux, intelligibles les polyphonies les plus complexes. Même la « Grande Fugue » s’épanouit avec une splendeur phonique inédite. Le Quatuor Ebène interprète Beethoven comme il le ressent, et non comme il devrait être joué, sans chercher à imposer une vision différente ou moderne, créant ainsi un choc émotionnel profond qui révèle la partition comme elle le serait lors d’une première lecture.
Dimitri Finker
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