Back
Florilège finlandais Helsinki Musiikkitalo, Konserttisali 12/08/2024 - Jouni Hirvelä : Engrams (création)
Aarre Merikanto : Syyssonetti – Savannah‑la‑Mar
Heidi Sundblad-Halme : Pan : « Pan ja paimenet » & « Pan soittaa »
Leevi Madetoja : Symphonie n° 2 en mi bémol majeur, opus 35 Anu Komsi (soprano)
Helsingin Kaupunginorkesteri, Kristian Sallinen (direction)
A. Komsi, K. Sallinen (© Helsinki Philharmonic Orchestra)
Deux jours après avoir entendu l’Orchestre de la Radio finlandaise (voir ici) dans la même salle de la Maison de la musique, place cette fois à l’autre orchestre prestigieux en résidence dans la capitale, l’Orchestre philharmonique d’Helsinki. On retrouve au programme un florilège de musique finlandaise cette fois moins tourné vers le répertoire contemporain, si l’on excepte la création mondiale d’Engrams de Jouni Hirvelä (né en 1982), donnée en ouverture de concert. Dans la salle, on aperçoit sa jeune compatriote Lara Poe, dont on avait pu entendre l’une des partitions vendredi. Avec Jouni Hirvelä, l’inspiration semble plus narrative, puisque le compositeur indique dans le programme avoir voulu rendre hommage à Leevi Madetoja (1887‑1947), qui souffrit de problèmes de mémoire en fin de vie. Une anecdote fameuse raconte ainsi que le compositeur se fit voler le manuscrit de sa Quatrième Symphonie à Paris, affirmant ensuite ne plus être en capacité de la retranscrire, ce qui nous fit perdre à jamais la possibilité de découvrir cet ouvrage.
La pièce symphonique Engrams débute par des effets de souffle inhabituels aux cuivres, imprimant ainsi une atmosphère minimaliste dans les piani, seulement interrompue par de brèves scansions. Le début statique et répétitif s’anime peu à peu, en quittant les rives morbides pour préférer des interventions soyeuses aux cordes. Les transitions envoûtantes donnent beaucoup de plaisir à l’ensemble, toujours très fluide. Après une courte emphase, la fin hypnotique nous replonge dans les effets pointillistes du début. Le compositeur vient se faite applaudir sur scène, en recevant une accolade chaleureuse de la part du chef d’orchestre Kristian Sallinen (23 ans).
Le concert se poursuit en mettant à l’honneur deux pages d’Aarre Merikanto (1893‑1958), un compositeur exigeant qui détruisit malheureusement un grand nombre de ses partitions, à l’instar des Français Duparc et Dukas, notamment. Sonnet d’automne (1922) fait entendre un petit bijou sombre tout en intériorité, qui flirte plusieurs fois avec l’atonalité. Le langage volontiers néoromantique de Savannah‑la‑Mar (1915) peut surprendre au premier abord, puisque seulement sept ans séparent les deux ouvrages. L’entrecroisement des courts motifs entre les pupitres est un régal, dont Kristian Sallinen fait son miel sans ostentation, en un geste tout de transparence agile. La partie vocale se fait plus exigeante pour la soprano Anu Komsi, qui se joue toutefois des difficultés avec une belle maîtrise.
Après l’entracte, les extraits de Pan (1935) de Heidi Sundblad‑Halme (1903‑1973), « Pan et les bergers » et « Pan joue », ne se situent malheureusement pas au même niveau d’inspiration, tant la compositrice s’enferme dans une joute finalement ennuyeuse de virtuosité creuse, en sollicitant à l’excès les vocalises de la soprano face à la flûte solo. L’orchestre n’a finalement qu’un rôle limité, pour ces courtes pièces, qui s’apparentent davantage à de la musique de chambre. La Deuxième Symphonie (1918) de Madetoja constitue un plat de résistance autrement plus consistant, opportunément programmé en même temps que son premier opéra, Les Ostrobotniens, donné jusqu’au 4 janvier prochain dans la capitale finlandaise. Le langage symphonique des deux ouvrages est proche, aussi bien dans la finesse d’orchestration que le souffle mélodique, rappelant plusieurs fois l’irrésistible élan sibélien.
Le début inoubliable de la symphonie laisse flotter un air de nonchalance heureuse et bienveillante, rapidement troublé par quelques brèves menaces aux cuivres. Kristian Sallinen met un peu de temps à chauffer l’orchestre pour rendre justice à la mécanique de précision nécessitée par l’orchestration de Madetoja, dont les mélodies parcourent tous les pupitres en un brio aérien. L’interprétation chambriste délaisse les aspects sombres en appuyant peu les attaques, si ce n’est dans les tutti, plus marqués. Le manque d’électricité aux premiers violons, comme l’indifférence expressive des cors, donnent malheureusement peu de relief aux atmosphères volontiers mouvantes et mystérieuses de Madetoja. Le deuxième mouvement se montre plus réussi, avec les solos tour à tour contemplatifs et interrogatifs du hautbois et du cor en coulisse, comme une double complainte pudique. La mélodie se déploie peu à peu avec l’aide des vents et des contrebasses en sourdine, tandis que les premiers violons dévoilent un thème splendide d’ivresse radieuse, avant une conclusion à nouveau rêveuse et minimaliste.
Le dernier mouvement détonne en comparaison par ses verticalités rageuses et péremptoires, presque sauvages par endroits. Un thème plus entrainant est ensuite lancé par les bassons, puis les cors, avant l’avènement d’un climax en forme d’apothéose, qui fait croire à une conclusion épique. Il n’en est rien, tant Madetoja touche au cœur dans les dernières mesures en installant un climat d’apaisement, seulement rythmé par les scansions des cors. On croit entendre des battements de cœur, en lutte pour grappiller quelques ultimes sursauts de vie. Etait‑ce là, pour Madetoja, un moyen de rendre un ultime hommage à son frère, récemment disparu dans le conflit de la Première Guerre mondiale ? Toujours est‑il que cette symphonie, dont le succès ne s’est jamais démenti, est restée l’une des plus chéries par le compositeur, tout au long de sa vie. Il la dédiera finalement sur le tard à sa mère, après son décès.
Florent Coudeyrat
|