Back
Quand la folie mène à l’hécatombe Lille Opéra 12/06/2024 - et 8*, 10 décembre 2024 Marc-Antoine Charpentier : David et Jonathas, H. 490 Petr Nekoranec (David), Gwendoline Blondeel (Jonathas), Jean‑Christophe Lanièce (Saül), Lucile Richardot (La Pythonisse), Etienne Bazola (Joabel), Alex Rosen (Achis, L’Ombre de Samuel), Hélène Patarot (La Reine des oubliés), Lysandre Châlon (Un guerrier, Un du peuple)
Ensemble Correspondances, Sébastien Daucé (direction musicale)
Jean Bellorini (mise en scène, scénographie, lumières), Véronique Chazal (scénographie), Fanny Brouste (costumes)
(© Philippe Delval)
Créé au Théâtre de Caen en novembre 2023, ce David et Jonathas (1688) de l’Ensemble Correspondances, mis en scène par Jean Bellorini et dirigé par Sébastien Daucé, figure, en cette fin d’année, à l’affiche de l’Opéra de Lille, un des coproducteurs du spectacle, avec les Théâtres de la Ville de Luxembourg, l’Opéra national de Lorraine, le Théâtre des Champs-Elysées et le Théâtre national populaire de Villeurbanne.
Une pièce de théâtre en latin, Saül, aujourd’hui disparue, complétait à l’origine, en doublant le nombre d’actes, la tragédie biblique de Charpentier. Le romancier Wilfried N’Sondé a rédigé pour l’occasion un texte venant s’intercaler entre les numéros sans augmenter la durée de la représentation au‑delà du raisonnable. L’idée, outre le renforcement du rôle de Saül, consiste à créer un nouveau personnage, incarné par Hélène Patarot, qui adopte un ton réconfortant, bien que mystérieux, et lucide, l’amplification de la voix conférant toutefois un aspect quelque peu artificiel à ces épisodes parlés. La comédienne incarne, dans cette transposition, une infirmière dans l’établissement de soins psychiatriques dans lequel séjourne Saül.
Le roi des Israélites a en effet perdu la raison à la suite de la mort de son fils, Jonathas. Le spectacle oppose donc, non sans confusion au début, deux dimensions, l’une concrète, la chambre de Saül, vue de l’extérieur, à travers des fenêtres, l’autre onirique, un espace abstrait dans lequel évoluent les protagonistes de la tragédie et le peuple opprimé. L’action se déroule ainsi dans l’esprit de cet homme ayant perdu la raison, ce qui justifie l’utilisation de couleurs improbables, jusqu’à la teinte des barbes, de marionnettes, de squelettes et de masques, avec la volonté de ne pas différencier aisément les morts des vivants.
Les intentions, sur le fond, assez intéressantes de Jean Bollerini paraissent plus évidentes au fur et à mesure du déroulement du spectacle, atténuant ainsi l’impression de flou, d’hésitation, ressentie au premier abord. Le metteur en scène, dans sa scénographie, développe peu d’idées visuelles réellement originales, mais celles‑ci se démarquent par leur effet et leur impact, en particulier, à la toute fin, la révélation, enfoui, jusque‑là, dans les tréfonds, d’un peuple pétrifié, référence explicite à l’armée de terre cuite de Xi’an. Le spectacle a en tout cas le mérite de ne comporter aucune référence trop évidente à une guerre actuelle, ce qui souligne d’autant mieux l’universalité du propos. Mais ce spectacle frôle l’alanguissement, manque de ressort théâtral, bien que la direction d’acteur, propre et sage, épouse étroitement la musique. Les personnages, même David et Jonathas, peinent à se détacher, à l’exception de Saül qui attire d’amblée l’attention. La seconde partie révèle, toutefois, des individus plus intensément habités.
En revanche, l’exécution musicale captive et séduit immédiatement, en premier lieu la prestation réjouissante de l’Ensemble Correspondances et de son chef, Sébastien Daucé, spécialisés dans le répertoire français du dix‑septième siècle, en particulier les œuvres de Charpentier. Les excellents musiciens délivrent d’admirables sonorité, plus fines, voire racées, qu’opulentes, tandis que leur jeu concilie admirablement intensité et élégance, la vigueur n’excluant pas la clarté. Les choristes rivalisent aussi avec les musiciens en termes de minutie et de justesse.
Les solistes se hissent à un niveau tout aussi élevé. Belle découverte, Petr Nekoranec, distribué dans le rôle de David, possède une voix de ténor assez mate et proche, par la clarté et le timbre, de celle d’un contre‑ténor. Voix délicate et charmante, Gwendoline Blondeel demeure trop féminine en Jonathas, mais son incarnation ardente et sensible du fils de Saül ne manque de séduire et même d’impressionner. Il faut saluer également une voix remarquable, celle d’Etienne Bazola, basse de noble stature et de style impeccable. Jean‑Christophe Lanièce paraît parfaitement crédible en Saül, par la voix et par l’intelligence de la composition. Le baryton, sans forcer le trait, parvient à exprimer la folie et les tourments de ce souverain naguère puissant, aujourd’hui déchu. La voix corsée de Lucile Richardot correspond bien à la nature de son personnage, la Pythonisse, mais cette interprétation, malgré ses mérites, ne compte pas parmi celles à retenir prioritairement, en l’occurrence celles du beau et intense trio formé par Saül, David et Jonathas.
Le site de l’Ensemble Correspondances
Sébastien Foucart
|