Back
Tosca comme on l’aime Metz Opéra-Théâtre 11/15/2024 - et 17, 19, 21 novembre 2024 Giacomo Puccini : Tosca Francesca Tiburzi (Floria Tosca), Aquiles Machado (Mario Cavaradossi), Devid Cecconi (Scarpia), Joé Bertili (Cesare Angelotti), Olivier Lagarde (Un sacristain), Orlando Polidoro (Spoletta), Adélaïde Mansart (Le pâtre), Nathanaël Kahn (Sciarrone), Jean-Sébastien Frantz (Un geôlier)
Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, Nathalie Marmeuse (cheffe de chœur), Chœur d’enfants spécialisé du Conservatoire à rayonnement régional de l’Eurométropole de Metz, Annick Hoerner (cheffe de chœur), Orchestre national de Metz Grand Est, Nir Kabaretti (direction musciale)
Paul-Emile Fourny (mise en scène), Patrick Méeüs (scénographie et lumières), Giovanna Fiorentini (costumes), Julien Soulier (nouvelle conception vidéo)
(© Philippe Gisselbrecht)
Belle occasion à saisir, pour Paul-Emile Fourny, que l’actuel centenaire Puccini, pour remettre sur le métier sa brillante production de Tosca, déjà présentée à Metz en 2019. Une reprise qui s’effectue sans changer les grandes lignes du projet, mais en demandant toutefois à un nouveau vidéaste de repenser les projections qui occupent tout le fond de scène. Des images tantôt statiques, mais en ce cas tellement bien définies qu’elles fonctionnent véritablement en trompe‑l’œil, donnant l’illusion de relief d’un décor construit, tantôt déroulées en lents mouvements de travelling soigneusement minutés. Ceci surtout pendant la scène du Te Deum à l’acte I, à laquelle la lente giration des murs de l’église Sant’Andrea della Valle confère une réelle ampleur dynamique, ce qui permet de s’affranchir des dimensions d’une scène plutôt exigüe, et à nouveau pendant tout l’acte III, où l’impression de constante avancée de ce décor virtuel devient de plus en plus oppressante, jusqu’à l’effet de basculement final, saisissante simulation visuelle de la chute de Tosca dans le vide.
Hormis ce riche arrière-plan d’images, et quelques rares meubles, le dispositif reste extrêmement sobre. Mais même cet apparent dépouillement, plancher noir réfléchissant les silhouettes en miroir, et coulisses obscures bordées de bandes réfléchissantes, reste lui aussi très étudié. Ne serait‑ce que pour mettre au maximum en valeur les parfaits costumes de Giovanna Fiorentini. Les sbires de Scarpia surgissent tout de noir vêtus, comme échappés d’un roman de Balzac, les deux robes de Tosca évitent toute faute de goût, et même quand il s’agit d’habiller certains physiques difficiles, les découpes et les tombés restent parfaits. Avec même quelques audaces bien ciblées, dont l’anachronique pantalon de cuir de Scarpia, qui souligne efficacement l’animalité du personnage. Bref, un remarquable sans‑faute vestimentaire, à une époque où l’art du costume d’opéra s’essouffle de plus en plus, à force de réactualisations quelconques ou misérabilistes.
On l’aura déjà compris, il s’agit d’une lecture de Tosca plutôt conventionnelle, au sens où elle respecte, et le début du dix‑neuvième siècle du livret, et la plupart de ses didascalies. Encore que, pas toutes. Notamment une scène d’exécution où aucun peloton militaire n’apparaît, et qui en acquiert de ce simple fait une force prodigieuse, la scène n’étant plus occupée que par les deux protagonistes. L’un, Cavaradossi, dignement statique, pendant que tout le décor semble lentement fondre sur lui, et l’autre, Tosca, en proie à un fou rire nerveux de plus en plus hystérique, moment d’une sidérante efficacité théâtrale. On retrouve du reste à la fin de chaque acte ce même magistral entretien d’un suspense progressivement exacerbé, en accord « à la note » avec les effets toujours calculés de la musique de Puccini, et ceci sans aucun relâchement, la tension dramatique ne retombant à chaque fois qu’à l’extrême chute, lors de l’extinction brutale des lumières, sur le dernier accord d’orchestre. Peut‑être plus anecdotique : l’omniprésence sur le plateau de quatre « anges gardiens », sosies de chacun des protagonistes, et qui assistent, silencieusement, à une tragédie sur laquelle ils ne semblent avoir que peu de prise. Cela dit, ces quatre silhouettes plus ou moins statufiées et traitées en grisaille, accroissent encore l’impact esthétique d’une production qui donne souvent l’impression de visiter un très beau musée de peinture italienne, dont les tableaux les plus étranges, signés Signorelli ou Beccafumi, auraient pris subitement vie.
Musicalement, le chef américain Nir Kabaretti possède un indiscutable sens du timing, bien accordé à cette production très intense, à la tête d’un Orchestre national de Metz d’une belle tenue instrumentale, mais dont les effets de masse paraissent parfois amoindris par une acoustique de salle peu généreuse. Toujours énergique, cette direction porte efficacement les chanteurs à se dépasser, jusqu’à quelques paroxysmes particulièrement tendus. Mais là, toutes les voix ne peuvent pas suivre avec la même endurance. Pour le Cavaradossi du ténor vénézuélien Aquiles Machado, artiste attachant mais qu’on a déjà connu en bien meilleure forme, la soirée paraît même éprouvante, à force d’essayer de stabiliser une quinte aigüe qui vacille et trémule continuellement. Ce n’est qu’au III, au cours d’un « E lucevan le stelle » qui monte un peu moins haut, et avec une émission enfin chauffée, que ce chant, auparavant terriblement crispé, parvient enfin à créer un peu d’émotion. Déjà présente dans la distribution de 2019, Francesca Tiburzi réitère sa Tosca vigoureuse, très spinto, toujours efficace, mais dont le « Vissi d’arte », qui se délite un peu sur la fin, n’est pas le meilleur moment. Et Devid Cecconi incarne un Scarpia dont le chant ne fait pas dans la subtilité, mais dont l’accord avec son personnage tout d’une pièce, sinistre composition d’énergumène lubrique, est tellement réussi qu’on ne peut guère s’en plaindre. Très intéressant Angelotti de la basse Joé Bertili, une voix qu’on réécouterait volontiers dans un rôle un peu plus long, et très belle brochette de comprimari, ce qui atteste là encore du soin accordé à la reprise de cette superbe et toujours passionnante Tosca.
Laurent Barthel
|