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Memento vivere

Metz
Cathédrale Saint-Etienne
11/29/2024 -  
Giacomo Puccini : Messa di Gloria (arrangement Ludovic Thirvaudey)
Julien Dran (ténor), Jean-Vincent Blot (basse)
Chœurs de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz et de l’Opéra national de Lorraine, Bertille Monsellier, Sergey Volyuzhskiy (piano), Nathalie Marmeuse (direction)


(© Philippe Gisselbrecht/Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz)


Une soirée à la cathédrale


Le 29 novembre au soir, l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz rendait hommage à Giacomo Puccini, le jour même du centième anniversaire de la mort du compositeur toscan, en conclusion du Festival Puccini qui avait vu la rare Rondine et la plus célèbre Tosca jouées dans les murs de la salle sise place de la Comédie. Cette fois, c’est en la cathédrale Saint‑Etienne que le concert a été délocalisé, l’immense nef de l’édifice religieux ayant été jugée plus propice que la salle de l’Opéra‑Théâtre pour faire résonner (le mot est faible, en l’occurrence) une œuvre religieuse de jeunesse rarement donnée, la Messa di Gloria de 1880 (ou plutôt Messe à quatre voix pour orchestre, chœur, ténor, baryton et basse, en do majeur). Le titre de l’œuvre, apocryphe, est d’ailleurs inexact, dans la mesure où une Messa di Gloria se limite à un « Kyrie » et un « Gloria », alors que celle‑ci est plus étendue, et reprend les cinq parties traditionnelles de la messe catholique : « Kyrie », « Gloria », « Credo », « Sanctus », et « Agnus Dei ». Mais la tradition a consacré ce titre, et d’ailleurs, si l’œuvre est rare, l’anniversaire de la mort du compositeur a donné la même idée à d’autres institutions lyriques : l’Opéra d’Angers‑Nantes en février dernier, l’Opéra de Bordeaux (en la cathédrale Saint‑André ) en juin, les opéra de Lyon, Belgrade et Holland Park à Londres, et jusqu’à Bruxelles, où elle est donnée en même temps qu’à Metz, en l’église royale Sainte‑Marie, où les funérailles du compositeur avaient eu lieu en 1924.


Chauds, les marrons


Le choix de la cathédrale Saint-Etienne fait sens : elle est proche de la place de la Comédie, et en soi évidemment en phase avec un œuvre religieuse, qui prend tout son sens sous des voûtes plus que huit fois centenaires, comme entre les magnifiques vitraux du monument. Mais ce choix se heurte aussi au principe de réalité : si les voix des chœurs y résonnent magnifiquement, de sorte que leur son, porté par les pierres, dure plusieurs secondes après qu’ils ont fini de l’émettre, en se propageant jusqu’au fond de la nef, la hauteur (42 mètres !) et la largeur de cette nef donnent au son un retour extrêmement long, et seuls les heureux spectateurs des dix premiers rangs ont pu profiter pleinement du chant des solistes dans ces conditions. Des conditions d’exécution rendues assez difficiles pour les chanteurs, dans la mesure où, bien que le lieu ait été bien chauffé, la longue ouverture des portes pour permettre l’entrée des plus de 600 spectateurs avant le spectacle l’a sérieusement refroidi, à tel point que votre serviteur a pour la première fois pris des notes avec des gants. Ce qui laisse penser que les voix des chanteurs et choristes ont été mises à rude épreuve en cette froide soirée, au cours de laquelle les flonflons de la fête liée au marché de Noël, qui investissait la place d’Armes, étaient légèrement audibles quand les chœurs faisaient silence, comme pour nous rappeler La Petite Fille aux allumettes d’Andersen. Par ce froid donc, une ou deux notes asymptotiques des solistes seront vite oubliées et l’élan communicatif de tous les chanteurs balaiera toute réticence devant une exécution de haut niveau.


Et resurrexit


L’œuvre avait longtemps disparu. Puccini l’a composée lors de ses études et elle lui a servi pour son examen à l’Istituto Musicale Pacini. Si aujourd’hui le nom du Puccini est uniquement lié à l’opéra, à l’époque il n’en était rien. En effet, le compositeur natif de Lucques était le descendant d’une lignée d’organistes et de compositeurs religieux, et il était bien naturel que leur descendant mît ses pas dans ceux de ses aïeux. Pourtant, s’il est évident que cette œuvre mêle une inspiration personnelle à certaines influences nettes (six ans après la création de la Messa da Requiem de Verdi, Puccini ose imiter quelque peu les chœurs verdiens dans le « Qui tollis peccata mundi »), elle s’éloigne de l’aspect tragique associé à tant de messes des morts : on est ici loin des requiem de Mozart et de Verdi, car la tonalité de do majeur choisie est caractéristique d’une inspiration où la joie est presque omniprésente. Le long « Gloria » en est la plus éclatante preuve. On a l’impression que, loin d’écrire une messe pour elle‑même, Puccini a plutôt tenu à utiliser des textes traditionnels bien connus pour essayer d’exprimer toutes les émotions que le texte renferme et que lui‑même se fera fort d’exprimer ensuite, dans ses œuvres opératiques, et avec quel succès ! Seul le « Crucifixus », tenu par la basse, est sombre et angoissé. Si beaucoup de parties sont fuguées entre les quatre voix (sopranos, mezzos, ténors, barytons et basses), Puccini les fait aussi chanter à l’unisson à des moments‑clés comme le « Credo » : « Et unam sanctam catholicam et apostolicam ecclesiam » ne pourrait autrement exprimer l’unité de l’Eglise.


L’évidence du précoce talent ainsi déployé par le compositeur a pourtant failli ne pas être suffisante pour sauver l’œuvre : bien que la création ait été couronnée d’un franc succès, Puccini n’a pas fait éditer la partition, se bornant à en réutiliser des parties pour des œuvres ultérieures : le « Kyrie » est repris dans l’opéra Edgar, l’« Agnus Dei » final est réutilisé dans Manon Lescaut, pour devenir le madrigal de l’acte premier, chanté par Manon. Si le compositeur phagocyte ainsi son ouvrage, c’est qu’il s’en désintéresse, semblant se démarquer de sa tradition familiale pour mieux s’affirmer. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : la partition, disparue durant le second conflit mondial, réapparaît en 1951, puis est jouée l’année suivante, et s’inscrit aujourd’hui au répertoire.


De nécessité vertu


L’œuvre réclame un orchestre ample et trois solistes. Les ressources de l’Opéra‑Théâtre de Metz ne sont pas telles qu’il peut se les offrir en ces temps très incertains sur le plan financier pour les maisons d’opéra. Paul‑Emile Fourny a donc décidé d’utiliser un arrangement de Ludovic Thirvaudey pour deux pianos, créé en 2007, et de confier à Bertille Monsellier et Sergey Volyuzhskiy le soin de remplacer l’orchestre, tandis que la basse Jean‑Vincent Blot chante à la fois les parties de basse et de baryton. Si de prime abord, on peut être déçu, on peut penser aussi que cette version laisse plus de place aux voix, le Chœur de l’Opéra‑Théâtre de Metz étant pour l’occasion renforcé par des membres du Chœur de l’Opéra national de Lorraine. Quant aux solistes, on constate qu’il vaut mieux engager une basse qui a des aigus faciles pour chanter les deux parties plutôt qu’un seul baryton qui manquera d’ampleur dans le « Crucifixus ».


Alles in Ordnung ?


Un autre choix ne manquera pas de diviser : Nathalie Marmeuse, la chef de chœurs messine, ici chef d’ensemble, a décidé de modifier l’ordre des parties de cette messe : plutôt que de finir sur une partie douce, l’« Agnus dei », elle a préféré décaler le long « Gloria » vers la fin pour finir en apothéose, plutôt qu’il ne suive le « Credo ». On peut s’interroger sur la nécessité d’un tel changement, même s’il ne trouble pas le public qui ne connaît pas l’œuvre, dans la mesure où cela décale aussi les morceaux dévolus aux solistes.


Ite missa est


C’est donc sur quelques notes de piano délicates que s’ouvre cette messe, avec un « Kyrie » assez court, d’abord naturellement plaintif, puis plus revendicatif, à mesure que les voix graves d’hommes entrent en lice.


En lieu et place du « Gloria » attendu, le « Credo », d’abord grondant, alternant fugue et unisson lié au sens des paroles (« Et in unum Dominum, Jesum Christum, Filium Dei unigenitum »), s’adoucit ensuite (« propter nostram salutem descendit de cælis »), avant l’entrée du ténor. Si les premières mesures ont montré de leur part un brin d’hésitation, sans doute due au froid, les choristes ont vite trouvé leurs marques et ont offert une prestation remarquable, même si l’équilibre des pupitres nous a semblé imparfait, les sopranos ayant tendance parfois à forcer le trait jusqu’à la limite de la stridence, les voix graves masculines, au contraire, étant un peu en retrait, tandis que les mezzos et ténors faisaient preuve d’une excellent cohésion.


Le ténor bordelais Julien Dran entre en scène dans la partie « Et incarnatus est ». Il donne à la phrase un galbe, un délié parfait, et fait montre ensuite d’un élan communicatif (« Ex Maria Virgine »), son legato faisant merveille dans les longues phrases où ses harmoniques graves, si rares chez les ténors, donnent une grande profondeur à son chant, tandis que le chœur entoure d’un doux tapis vocal ses mezze voci.


La basse Jean-Vincent Blot s’impose alors dans un « Crucifixus » aux sauts de registres éprouvants dont il ne fait qu’une bouchée. Son timbre de bronze et d’ébène, projeté avec puissance, ses consonnes particulièrement marquées et son sérieux papal produisent un grand effet dramatique, quand la lente montée chromatique par paliers de l’aria, aux « Crucifixus » martelés, sonne l’heure tragique de la mort du Christ. Il laisse une impression formidable.


La partie qui suit, « Et resurrexit », est peut‑être celle qui pâtit le plus de l’absence d’orchestre : si la dentelle des pianos est bienvenue à la fin, au début, l’élan de l’orchestre manque, surtout l’éclat des cuivres. Avant que le « Gloria » ne le confirme, c’est de la pure joie populaire, digne d’un chœur d’opéra, qu’exprime la fugue dans « et vitam venturi sæculi. Amen. »


Après un « Sanctus » recueilli puis triomphant de la part des chœurs, le « Benedictus », dévolu au baryton, voit Jean‑Vincent Blot dominer les écarts de tessiture, solennel, délicat dans les attaques de notes, fin dans l’aigu, souple dans la vocalise : il exprime la reconnaissance avec une ampleur douce et généreuse.


Vient le moment où les deux solistes chantent ensemble l’« Agnus Dei ». Julien Dran offre d’abord un legato de miel, une diction superlative et de langoureux graves (« Miserere nobis »). Lui répond Jean‑Vincent Blot, avec la patine d’un violoncelle raffiné, usant de diminuendi dans les fins de phrases et d’une mezza voce d’une délicatesse merveilleuse. Enfin arrive le duo, d’une fluidité parfaite : les deux timbres des solistes se détachent tout en se fondant, on ne manque pas une syllabe ni de l’un ni de l’autre, et la symbiose est totale, car l’écoute entre le ténor et la basse leur permet de se calibrer pour marier leurs voix devant un chœur faisant assaut de douceur. C’est le sommet de la soirée, et c’est sans doute cette partie qui aurait dû faire l’objet d’un bis à la fin du spectacle.


Vient enfin le « Gloria » longtemps attendu. Le début de la partie est primesautier en diable, loin d’une musique sévère ou solennelle, un vrai chœur populaire ici encore, qui porte la marque d’un futur compositeur d’opéras majeur. La ferveur d’« In terra pax » prend toute sa dimension sous les voûtes ancestrales de la cathédrale, et la fugue virtuose du « Laudamus Te » s’évanouit dans triple piano à l’unisson des pupitres choraux, doux et tendre.


C’est alors que survient la difficile partie de ténor « Gratias agimus tibi » où le legato de Julien Dran fait encore merveille. Le ténor bordelais fait fi des sauts de registre, jusqu’à des aigus habilement intégrés à la ligne, et exprime l’urgence du remerciement, jusque dans des descentes chromatiques par paliers qui en soulignent l’urgence.


Le « Qui tollis peccata mundi », majestueux, ample et grandiose, résonne enfin, en quatre voix chorales fuguées d’un élan irrésistible, avec quelquefois un balancement digne du futur musical : c’est certain, si Puccini avait vécu plus longtemps, il aurait composé pour le cinéma qui naissait au moment de sa disparition. L’« Amen », comportant des vocalises où les mezzos répondent aux barytons et basses, où les sopranos répondent aux ténors, est tout aussi entraînant. La reprise du « Gloria » est si pleine d’allant qu’on peut la comparer à un chœur des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner, dans une veine populaire qui exprime une joie simple et franche, sans arrière‑pensée métaphysique. Le dernier « Amen », vivifiant, se conclut sur les accords francs des deux pianos.


Nathalie Marmeuse, après les saluts, décide d’offrir au public une reprise de ce « Gloria » en bis, avec le chœur seul. Cela permet de terminer le court concert sur une note joyeuse, même si une reprise du duo de l’« Agnus Dei » nous aurait autrement comblés.


On gardera à l’esprit que l’idée de célébrer l’anniversaire de la mort d’un compositeur avec une œuvre à la couleur paradoxalement plutôt joyeuse pour une messe des morts est excellente : la religion chrétienne nous rappelant sans cesse notre issue fatale par tant de Memento mori, il est bon de temps en temps de préférer un Memento vivere !



Philippe Manoli

 

 

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