Back
Une mise en scène éco-féministe Liège Opéra royal de Wallonie 10/18/2024 - et 20*, 22, 24, 26 octobre 2024 Leos Janácek : Kát’a Kabanová Anush Hovhannisyan (Kát’a Kabanová), Anton Rositskiy (Boris), Nino Surguladze (Kabanicha), Magnus Vigilius (Tichon), Jana Kurucová (Varvara), Dmitry Cheblykov (Dikój), Alexey Dolgov (Kudrjás), Daniel Miroslav (Kuligin), Anne‑Lise Polchlopek (Glasa, Feklusa), Benoît Scheuren (Pozdníchodec), Beatrix Papp (Zena)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Denis Segond (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Michael Güttler (direction musicale)
Aurore Fattier (mise en scène), Marc Lainé, Stephan Zimmerli (décors), Prunelle Rulens (costumes), Anne Vaglio (lumières), Vincent Pinckaers (vidéo)
A. Hovhannisyan (© Jonathan Berger/Opéra royal de Wallonie)
Enfin un Janácek ! L’Opéra royal de Wallonie semble élargir et diversifier son répertoire sous l’impulsion de l’actuel directeur général et artistique, à la tête de l’institution liégeoise depuis deux ans. Il faudrait vraiment monter un de ces jours un opéra de Strauss, de Prokofiev, de Berg et de Britten. Quant au compositeur tchèque, la dernière production de Kát’a Kabanová (1921) sur cette scène remonte à l’an 2000.
Dans le décor, une petite pancarte comporte des caractères en cyrilliques, afin de bien situer l’action en terres russes, ce qui est compréhensible, mais pas tout à fait indispensable. L’action se trouve même transposée dans un futur proche, les notes d’intention d’Aurore Fattier qualifiant sa mise en scène d’éco‑féministe, néologisme bien dans l’air du temps. A chacun d’adhérer ou pas à ce raisonnement en fonction de sa sensibilité. De notre point de vue, ce spectacle ne parvient pas à rendre parfaitement crédible le contexte dans lequel évolue ce drame provincial, dans un milieu social refermé sur lui-même, alourdi par la morale et l’obscurantisme. Malgré sa puissance et son impact, la mise en scène suscite une impression d’hésitation, entre universalité du propos et ancrage local.
Le décor, quant à lui, s’oppose non sans soulagement à celui, outrancier, de La Traviata, le mois passé : bien plus simple, il demeure pratiquement inchangé, mais un peu fruste : une lande, une surface d’eau, une terrasse en bois, du mobilier de jardin. Nous aurions préféré qu’une partie des dépenses consacrées à cette Traviata soit allouée à cette production. Seules les lumières et surtout la vidéo, la plupart du temps en différé, comme pour créer un décalage entre l’image et la scène, apportent de la diversité. L’utilisation de la vidéo devient une pratique un peu trop courante à l’opéra, mais la création proposée dans ce spectacle, surtout lorsque les images montrent la nature et le fleuve, attire l’attention par sa beauté et sa poésie. La metteuse en scène recourt au principe, lui aussi très fréquent, du dédoublement, en l’occurrence, celui du rôle‑titre, représenté avec plusieurs années de moins, mais ponctuellement, pour un effet dramatique et esthétique plutôt intéressant. La direction d’acteur, enfin, précise et intense, témoigne d’un travail approfondi sur la psychologie des personnages et des situations.
La distribution, d’assez haut niveau, comporte quelques chanteurs qui figuraient à l’affiche de Rusalka en janvier dernier. Malgré un timbre moyennement attrayant, Anush Hovhannisyan délivre du rôle‑titre une composition crédible, mais sans tout à fait le relief et l’émotion attendus. Il y avait probablement moyen de rendre encore mieux la dimension contradictoire de la personnalité de l’héroïne, entre désir et culpabilité. Prince remarquable, en janvier, et ayant brillamment sauvé une représentation d’Otello en 2021, Anton Rositskiy attire de nouveau l’attention en Boris, par la beauté de la voix et la justesse de la caractérisation. Excellente en Jezibaba cet hiver, Nino Surguladze convainc cette fois un peu moins en Kabanicha. Malgré ses mérites, la mezzo‑soprano semble vraiment trop jeune, trop éloignée physiquement, et même vocalement, de la détestable marâtre que nous aurions aimé voir et entendre.
Admirable Siegfried, le mois dernier à Bruxelles, Magnus Vigilius, voix puissante et présence forte, s’impose aisément en Tichon, bel exemple de mâle alpha, à la différence de Boris et de Kudrjás, ce dernier magnifiquement incarné par le ténor fin et racé Alexey Dolgov, dont le personnage a été rendu aveugle, ce qui révèle ce rôle sous un nouveau jour. A tout cela s’ajoute encore une autre merveilleuse prestation, celle de Jana Kurucová en Varvara. Les autres rôles sont bien tenus, le Dikój de Dmitry Cheblykov, le Kuligin de Daniel Miroslav, mais avouons avoir été séduit par la fraîcheur et la délicatesse d’Anne‑Lise Polchlopek en Glasa et Feklusa, le genre de rôles sans lesquels un opéra ne serait pas tout à fait le même.
Michael Güttler dirige l’orchestre pour la première à l’occasion de cette nouvelle production. Le résultat répond à nos attentes, sans toutefois atteindre l’idéal sur les plans de l’âpreté et de l’accentuation, probablement plus naturellement à la portée des formations tchèques. Les musiciens se montrent néanmoins concernés et vigoureux, mettant en valeur, grâce à leurs compétences et à leur discipline, les beautés de l’orchestration et les particularités de l’écriture de ce compositeur hautement inspiré – le rythme, l’impulsion, la sonorité. L’orchestre livre ainsi une prestation ardente et intense, et prouve sa capacité à aborder différents répertoires. Les choristes, enfin, bien qu’ils interviennent peu, exercent une fonction cruciale, en particulier à la fin, et ils se montrent à la hauteur du défi que représente cet opéra puissant et condensé.
Sébastien Foucart
|