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Relations humaines à géométrie variable

Strasbourg
Opéra national du Rhin
10/03/2024 -  et 4, 6, 7* (Strasbourg), 12 (Colmar), 18, 20 (Mulhouse) octobre 2024

Nous ne cesserons pas (recréation)

Bruno Bouché (chorégraphie), Franz Liszt (musique)
Ballet de l’Opéra national du Rhin
Tanguy de Williencourt (piano)
Xavier Ronze (costumes), Tom Klefstad (lumières)


Les Noces (création)
Hélène Blackburn (chorégraphie et scénographie), Igor Stravinsky (musique)
Ballet de l’Opéra national du Rhin
Alysia Hanshaw (soprano), Bernadette Johns (mezzo-soprano), Sangbae Choï (ténor), Pierre Gennaï (basse), Marija Aupy, Frédéric Calendreau, Maxime Georges, Tokiko Hosoya (pianos), Chœur et Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, Percussions de Strasbourg, Hendrik Haas (direction musicale)
Xavier Ronze (costumes), Tom Klefstad (lumières)


Nous ne cesserons pas (© Agathe Poupeney)


Voir un pianiste affronter en direct la Sonate de Liszt, l’un des massifs notoirement escarpés du répertoire, est un spectacle en soi. Le ballet des mains, tantôt frénétique, tantôt lent, à la recherche de sonorités au plus profond du clavier, vaut déjà son pesant de sensations visuelles, et particulièrement ce soir, avec le piano posé en biais sur scène, proche de la rampe, et un éclairage directement braqué sur les avant‑bras nus de Tanguy de Williencourt. Un interprète habillé de noir, les bras de chemise retroussés jusqu’aux coudes, et dont la gestuelle sobre, qui se dispense de tout effet superflu, fascine constamment. Cette apparente décontraction du costume a peut‑être été obtenue grâce à un travail de couture particulier, car essayez donc de jouer du piano avec les manches d’une vraie chemise repliées en bourrelet au niveau des coudes : c’est tout sauf commode ! Quoi qu’il en soit, l’effet visuel obtenu est très beau.


Plateau entièrement vide, avec à droite une gracile échelle double qui se prolonge jusqu’aux cintres, et sur laquelle, bien entendu, personne ne monte. Dans la chorégraphie de Bruno Bouché, il est manifestement question d’une aspiration constante à prendre de la hauteur, en vue d’atteindre un idéal inaccessible. Ce ballet, issu d’un projet antérieur de 2011, s’intitule d’ailleurs Nous ne cesserons pas. Donc ici six danseurs et une danseuse, tous formatés par le même costume dégradé, du sombre (en bas) vers le clair (en haut), s’affairent en quête de quelque chose qu’ils ne vont sans doute pas trouver, d’abord groupés derrière le piano, puis, après s’être faufilés sous l’instrument, dispersés en petites groupes et alignements variables. Parfois on s’approche beaucoup de cette échelle, allusion claire à l’échelle biblique des anges du rêve de Jacob, puis on s’en éloigne à nouveau, avant, finalement, de repasser sous le piano dans l’autre sens. Le langage chorégraphique exploite un nombre limité d’idées, effets répétitifs de groupes en tension où on se tient par les mains, de montées en pyramide, de bascule successive des danseurs comme des dominos qui s’effondrent. Mais moins que ce ressassement, ce qui finit surtout par gêner, c’est la prévisibilité des effets chorégraphiques en fonction de la récurrence des gestes pianistiques, le même type d’écriture au piano appelant invariablement le même type d’association visuelle : bras fluides sur les traits perlés, solo féminin évidemment sur le passage mélodique le plus romantique, fugue où tout aussi prévisiblement les danseurs courent subitement dans tous les sens. Somme toute, un croisement difficile de la danse avec un propos implicite d’analyse musicale qui reste assez primaire. Souvent la tentation devient forte d’essayer de s’abstraire de l’agitation du plateau, pour en revenir à la contemplation des mains du pianiste, en définitive tellement plus en prise directe avec cet idéal mystique qu’ici la danse paraît chercher en vain.



Les Noces (© Agathe Poupeney)


Effectif inversé pour Noces de Stravinsky, la chorégraphe québécoise Hélène Blackburn ayant souhaité travailler, non pas avec des couples de danseurs, comme on le fait en général, et assez logiquement, vu la thématique nuptiale de ce ballet, mais sur l’opposition entre un seul homme, habillé de noir, et un groupe de onze danseuses, qui l’entourent de leurs multiples silhouettes vaporeuses, vêtues de blanc. Le résultat apparaît sans argument véritable, la principale problématique développée paraissant de l’ordre d’une réelle anxiété, face à la rupture avec le passé que peut représenter un sacrement de mariage. Pulsions mécaniques, gestes hachés et anguleux, pour l’homme, situé en général au centre, nervosité d’une envergure plus extériorisée pour le groupe féminin, avec un beau travail sur les pointes, qui confère à l’ensemble de fortes tensions ascendantes. En filigrane, affleure aussi un subtil hommage à la chorégraphie princeps de Bronislava Nijinska, du fait des coiffures caractéristiques des danseuses, mais aussi d’un alignement particulier des silhouettes en profondeur et d’une certaine façon de les déhancher. Esthétiquement c’est très réussi, y compris la gestion de deux éléments à forte connotation symbolique : la bordure inférieure rouge qui apparaît en cours de route sur le jupon des danseuses, et le grand lustre central qui monte et descend selon les moments, avant de se fracasser par terre, à l’extrême fin. Effondrement, renaissance, petite mort... le sous‑texte présent dans les dernières mesures de la partition est révélé avec une réelle sensibilité.


Ici, il est vrai, Hélène Blackburn bénéficie de l’atout décisif d’une musique réellement écrite pour la danse. Un chef‑d’œuvre d’une vigueur et d’une intensité incantatoire irrésistibles, et que le Chœur de l’Opéra du Rhin interprète avec beaucoup de relief, sous la direction magistrale de Hendrik Haas. Outre les quatre pianistes qui viennent colorer la masse sonore d’une façon si particulière, on relève aussi la précision des Percussions de Strasbourg, et la belle présence des voix solistes. Seul regret, qu’ici l’utilisation de la traduction française du texte par Ramuz ne soit perceptible que par un surcroît de fluidité des lignes vocales, et non par la poésie des mots, au mieux intelligibles à deux ou trois moments seulement.



Laurent Barthel

 

 

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