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De chair et de sang München Herkulessaal 09/26/2024 - et 27 septembre 2024 Johann Sebastian Bach : Matthäus-Passion, BWV 244 Mark Padmore (Evangelist), Georg Nigl (Jesus), Camilla Tilling (soprano), Magdalena Kozená (mezzo-soprano), Andrew Staples (ténor), Roderick Williams (baryton), Simona Brüninghaus, Diana Fischer (Mägde), Barbara Fleckenstein (Pilati Weib), Mareike Braun, Moon Yung Oh (Zeugen), Christof Hartkopf (Petrus), Andreas Burkhart (Judas), Timo Janzen, Werner Rollenmüller (Hohepriester)
Augsburger Domsingknaben, Stefan Steinemann (chef de chœur), Chor des Bayerischen Rundfunks, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Sir Simon Rattle (direction)
(© Bayerischer Rundfunk/Severin Vogl)
Trois ans avant la fin de la crise du covid et le début du mandat de Sir Simon Rattle, ce dernier était venu à Munich pour deux programmes emblématiques : la Neuvième Symphonie de Mahler ainsi que cette Passion selon saint Matthieu. Si le programme Mahler avait pu se dérouler sans encombre, un cas de covid s’est déclaré à la dernière minute parmi les musiciens. L’œuvre avait été donnée sans public dans cette même salle, cette soirée pouvant être vue sur le site de l’orchestre. Rattle a exprimé son souhait de réunir au plus vite les mêmes solistes et donner cette œuvre dont il dit tant son admiration.
Mais il faut attendre encore quelque peu pour entendre cette Passion. La moitié de l’orchestre et des chœurs viennent sur scène, gilets jaunes fluorescents sur le dos sur lesquels est écrit « Urgence musicale » et nous donnent à effectif réduit les dernières pages de cette Passion avant d’expliquer qu’à la différence des autres ensembles munichois, les négociations salariales de cette saison sont toujours ouvertes. Le public munichois, attentif et respectueux, écoute les deux orateurs sans broncher. On ne peut se demander si cela aurait été le cas dans d’autres pays... Les musiciens reviennent quelques instants plus tard sur scène, au complet et sans gilets pour nous donner cette Passion.
Rattle et ses solistes connaissent bien cette œuvre qu’ils ont souvent jouée à Berlin et Salzbourg dans un dispositif scénographique réalisé par Peter Sellars. Ceci explique probablement pourquoi on ressent à plusieurs reprises une tendance à théâtraliser l’œuvre. Même dans un rôle aussi hiératique, Georg Nigl est un Jésus de chair et de sang, humain, trop humain... mais avec tant de présence. Magdalena Kozená fait preuve d’une expression un peu marquée. Il faut savoir parfois laisser l’émotion venir naturellement surgir mais elle a des phrasés superbes (voir ici). Mais le style un peu fiévreux avec laquelle est donnée l’air « Gib mir mein Jesum wieder » pour baryton avec violon obligé est plein de caractère et parfaitement en situation.
L’orchestre joue avec phrasés baroques et sans vibrato. Les tempi sont animés mais sans que cela soit au détriment de la clarté et de l’articulation. Chantant sans partition, Mark Padmore en Evangéliste fatigue un peu à la fin avec quelques petits problèmes de justesse mais ce sont des peccadilles devant l’éloquence dont il fait preuve. Camilla Tilling a un superbe timbre clair et une justesse de style. Il y a beaucoup d’harmonie avec la flûte solo de Henrik Wiese dans l’air « Aus Liebe will mein Heiland sterben » qui est simplement sublime. Comme toujours, le Chœur de la Radio bavaroise est superbe de couleur et de dynamique. Certains passages animés où le chœur est assez puissant commencent à laisser entrevoir ce que stylistiquement un Mendelssohn fera dans sa Symphonie « Lobgesang » voire un Weber dans son Freischütz.
Voici en fin de compte une exécution profonde, de très haut niveau et surtout avec beaucoup d’intégrité, qui est un superbe démarrage pour cette nouvelle saison. Cette dernière s’annonce passionnante. Rattle sera très présent avec de nombreux programmes. Il reviendra pour donner une soirée de cantates de Bach sur instruments d’époque, les dernières symphonies de Mozart, des programmes Brahms, Bruckner, Mahler mais aussi Poulenc, Boulez... et début novembre, tous les wagnériens seront là pour entendre la première Isolde de Lise Davidsen dans une version de concert du deuxième acte.
Antoine Lévy-Leboyer
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