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Ouverture de saison en demi-teinte

Geneva
Grand Théâtre
09/15/2024 -  et 18, 22, 24, 27 septembre 2024
Richard Wagner : Tristan und Isolde
Gwyn Hughes Jones*/Burkhard Fritz (Tristan), Elisabet Strid (Isolde), Tareq Nazmi (Le Roi Marke), Kristina Stanek (Brangäne), Audun Iversen (Kurwenal), Julien Henric (Melot), Emanuel Tomljenovic (Un matelot, Un berger), Vladimir Kazakov (Un timonier)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Mark Biggins (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Marc Albrecht (direction musicale)
Michael Thalheimer (mise en scène), Henrik Ahr (décors), Michaela Barth (costumes), Stefan Bolliger (lumières), Luc Joosten (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


Une mise en scène minimaliste, sans grandes idées directrices, un duo d’interprètes à la carrure vocale insuffisante pour les rôles‑titres et une direction musicale sans flamme, toute en retenue : la saison 2024-2025 du Grand Théâtre de Genève vient de s’ouvrir en demi‑teinte, avec un Tristan et Isolde globalement décevant. Après Parsifal en janvier 2023, Michael Thalheimer est donc de retour à Genève pour un autre ouvrage de Wagner. Son sens de l’épure avait fait des étincelles il y a une année et demie, débouchant sur un spectacle aussi sobre que puissamment évocateur. Le programme de salle nous apprend d’ailleurs que les productions du metteur en scène, au théâtre comme à l’opéra, ont donné naissance à un nouveau terme dans le monde du théâtre germanophone : « thalheimerisé » pour désigner un spectacle réduit à l’essentiel, simplifié à l’extrême. Malheureusement, le concept ne fonctionne pas de manière convaincante pour Tristan und Isolde. Mis à part un grand bloc noir mobile symbolisant un bateau et une paroi de spots, tantôt éteints pour évoquer la nuit, tantôt allumés avec des variations d’intensité, le plateau est désespérément vide. La gestique de la direction d’acteurs est, elle aussi, réduite à sa plus simple expression, conférant à la soirée un statisme pesant. Tout avait pourtant bien commencé : dès les premières notes, on voit Isolde, recroquevillée, tirer une corde à laquelle est attaché le bateau, comme si elle devait porter sur ses frêles épaules toute la misère du monde. Au début du troisième acte, c’est Tristan qui tire péniblement la corde. Pour le reste, c’est le désert, aucune idée ne semble venir jalonner le spectacle, rien que des détails anecdotiques : au deuxième acte, Tristan et Isolde se taillent les veines, et au troisième Isolde va se trancher la gorge. Rien de plus que le minimum syndical. Au moins peut‑on se concentrer entièrement sur le chant et la musique.


Las, les deux chanteurs principaux n’ont pas l’envergure vocale pour affronter leur rôle. Le souci vient surtout du Tristan de Gwyn Hughes Jones, qui doit constamment forcer sa voix, privant son chant de toute nuance. Le phrasé et le legato sont aussi particulièrement problématiques et le timbre est assez ingrat, sans compter le fait que le ténor ne semble pas investi dans son personnage. Le premier acte le met déjà en difficulté, et le deuxième le voit à bout vocalement. Heureusement, il parvient à se ressaisir un tant soit peu dans le dernier acte. Isolde essentiellement lyrique, Elisabet Strid est certes convaincante dans son personnage, avec une voix homogène tant dans la passion que dans la colère, mais elle manque d’ampleur vocale pour les déferlements du rôle. En revanche, le reste de la distribution est absolument remarquable, à commencer par la Brangäne tout simplement somptueuse de Kristina Stanek, laquelle, placée au troisième balcon pour le deuxième acte, remplit sans peine l’auditoire de sa voix d’airain, qui plane au‑dessus de l’orchestre et des autres chanteurs, pour ce qui restera comme le seul moment de grâce du spectacle. On n’oubliera pas non plus le splendide Kurwenal d’Audun Iversen, au timbre rugueux et profond, le roi Marke noble et émouvant de Tareq Nazmi ainsi que le solide Mélot de Julien Henric.


A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, avec des cordes particulièrement charnues, Marc Albrecht allège les textures pour privilégier la clarté et les détails, adoptant des tempi plutôt lents, qui donnent à l’exécution beaucoup de profondeur. Mais le chef fait souvent preuve de retenue, ce qui, malheureusement, se révèle un handicap dans les passages paroxysmiques, rendant en fin de compte sa direction parfois assez terne, sans flamme, malgré un son magnifique. Tristan und Isolde n’avait plus été représenté au Grand Théâtre de Genève depuis 2005 et il y a fort à parier qu’il faudra attendre une nouvelle fois vingt ans pour voir à nouveau l’ouvrage de Wagner. Rien que pour cela, le spectacle actuellement à l’affiche mérite d’être vu, malgré tous ses défauts.



Claudio Poloni

 

 

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