About us / Contact

The Classical Music Network

Avignon

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Manon chez les papes

Avignon
Opéra-Théâtre
06/02/2002 -  et 4* juin 2002
Jules Massenet : Manon
Iva Mula (Manon), Catherine Dune (Poussette), Bernadette Lamothe (Rosette), Marie-Belle Sandis (Javotte), Gilles Ragon (des Grieux), Marc Barrard (Lescaut), Christian Tréguier (le Comte des Grieux), Christophe Crapez (Guillot de Morfontaine), Olivier Heyte (Brétigny), Xavier Seince (l'Hôtelier)
Choeurs de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse, Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence, François-Xavier Bilger (dirirection)
Nicolas Joël (mise en scène), Ezio Frigiero (décors)


Massenet est toujours présenté comme le "compositeur de la femme", avec une grande tendresse pour les pécheresses, qu'il s'agisse des courtisanes (Manon, Thaïs), des prêtresses (Le Roi de Lahore, Roma) ou encore de ces épouses tentées par un adultère auquel, parfois malgré elles, elles ne succombent pas (Werther, Grisélidis). Mais on ne saurait oublier qu'il fut aussi un maître de l'orchestre, s'inscrivant de plein droit dans l'extraordinaire mouvement de renaissance que connut la musique française après 1870, ni qu'il sut renouveler aussi bien le grand opéra que l'opéra-comique. Ce dernier, par exemple, survit encore dans Manon, avec ses passages légers ou brillants, comme le début du premier acte ou les tableaux du Cours-la-Reine ou de l'Hôtel de Transylvanie, avec ses "mélodrames", où les dialogues parlés se déroulent sur un fond musical. Mais, comme le Bizet de Carmen, Massenet ne dissocie pas cette veine légère de la peinture musicale d'une passion tragique, pour mieux superposer à l'image d'une société fondée sur l'artifice (d'où ce recours au pastiche ou à l'archaïsme) l'authenticité d'un amour dont elle aura raison.


La production - une co-production de la Scala de Milan et du Capitole de Toulouse - est en tout point fidèle aux intentions du compositeur. Le décor est néo-classique, visiblement inspiré de certains tableaux, avec cette immense façade de la cathédrale d'Amiens, ces colonnes et ces statues de marbre blanc au milieu desquels les personnages semblent perdus, en particulier Manon et des Grieux, qui défient par l'intensité de leur passion cet ordre figé dans l'imitation de modèles dépassés, tandis que l'hôtel de Transylvanie, noyé dans les vapeurs du jeu où se vautrent le monde et le demi-monde, nous montre l'envers clandestin d'une société prête à tout pour monnayer ses plaisirs. Les costumes sont aussi très beaux, fort loin de la grisaille où l'on a tendance à se complaire aujourd'hui. La mise en scène est intelligemment traditionnelle et souligne très pertinemment le décalage entre trois univers qui ne peuvent se comprendre : celui du couple, celui du père de des Grieux et celui des autres. Les scènes où Manon et des Grieux sont seuls, de leur rencontre à la mort de Manon, ont une grande force dramatique, qui ressort d'autant plus qu'Inva Mula et Gilles Ragon, parfaits acteurs, rendent leurs personnages scéniquement très crédibles. Malgré un malencontreux claquage à la fin du premier acte, Inva Mula, "découverte" naguère par le maître des lieux, Raymond Duffaut, a voulu aller jusqu'au bout de la représentation, adaptant son jeu à son état. Elle est bien Manon, gourmande de plaisir, innocente dans sa légèreté, absolue dans son amour, jamais mièvre ou minaudante. La voix est fruitée, avec un bel éclat dans l'aigu. Elle brille dans le tableau du Cours-la-Reine, mais se plie parfaitement à la déclamation si particulière de Massenet dans l'air de la table. On notera cependant la pauvreté du médium, qu'elle devra travailler pour assurer la pleine homogénéité des registres. Gilles Ragon est visiblement à un tournant décisif de son évolution : le ténor d'opéra-comique, à l'émission haute et souple, est devenu une voix plus corsée, qui fait merveille - sans forcer - dans le tableau de Saint-Sulpice ou dans "Sphinx étonnant", capable donc d'affronter les moments les plus tendus du rôle. Mais, du coup, il est moins à l'aise dans les passages réclamant justement un ténor d'opéra-comique, comme dans le deuxième tableau - le Rêve de des Grieux l'a mis en difficulté - où l'émission semble raidie, la couleur ternie et le vibrato élargi. Celui qui est de toute évidence un de nos meilleurs chanteurs actuels (et qui, il faut le souligner, a une des articulations les plus exemplaires qui soit) aura sans doute à choisir entre ce qu'il était hier et ce qu'il devient aujourd'hui. Bon Lescaut bien chantant de Marc Barrard, un peu empesé cependant dans les passages comiques, peut-être à cause d'une discordance entre son idée du personnage et celle du metteur en scène. En excellente forme vocale, Christian Tréguier confère au comte des Grieux une noblesse attendrie, témoignant d'une grande finesse dans la rencontre avec Manon au Cours-la-Reine. Rien à dire, sinon du bien, des seconds rôles et des choeurs. On n'attendait pas que François-Xavier Bilger renouvelle notre connaissance de Manon, mais il a fait preuve de son efficacité coutumière à la tête d'un orchestre à qui la vaillance tient toujours lieu de subtilité.


Ainsi se terminait une saison qui, comme chaque année, se signale à la fois par sa qualité et par sa cohérence. Après la grisaille de La Bohème lyonnaise, on se sentait beaucoup mieux. Et l'opéra d'Avignon - faut-il le rappeler ? - n'est pas un "opéra national".





Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com