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Pittsburgh, un orchestre d’acier

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/22/2024 -  
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n° 3 en ré mineur, opus 30
Gustav Mahler : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur

Yefim Bronfman (piano)
Pittsburgh Symphony Orchestra, Manfred Honeck (direction)


Y. Bronfman, M. Honeck (© Salzburger Festspiele/Marco Borrelli)


L’Orchestre symphonique de Pittsburgh ne fait pas partie des Big Five (New York, Boston, Chicago, Philadelphie et Cleveland). Cela dit, si ce cercle prestigieux s’élargissait à un éventuel Big Six, la formation de Pittsburgh pourrait bien être ce sixième élu. Avec pour principaux atouts sa localisation géographique, stratégique, en plein centre de la constellation, à mi‑distance entre Chicago et Philadelphie, son identité sonore particulièrement forte d’orchestre américain, et aussi son passé prestigieux, sous l’emprise de chefs de renom qui se sont maintenus chacun très longtemps à ce poste : successivement Otto Klemperer, Fritz Reiner, William Steinberg, André Previn, Lorin Maazel, Mariss Jansons, et enfin Manfred Honeck, qui dirige à Pittsburgh depuis déjà seize ans, et vient de voir son mandat renouvelé jusqu’en 2028.


Au cours de la dernière décennie, le Pittsburgh Symphony et Manfred Honeck sont restés très présents sur le marché du disque, en éditant leurs meilleurs concerts, souvent remarquables, sous le label américain Reference Recordings. Et leurs tournées en Europe, tous les deux ou trois ans, leur ont aussi gardé une relative visibilité. Je me souviens d’une forte impression que m’avaient laissé ces musiciens en 1999, lors de leur première tournée européenne sous la direction de Mariss Jansons : un ensemble d’un impact impressionnant, encore renforcé par la forte présence, à l’arrière de l’orchestre, d’un timbalier puissamment énergique, Timothy K. Adams, Jr., réputé aussi pour avoir été le premier timbalier noir à occuper un poste de principal dans une phalange américaine de premier plan.


Un quart de siècle plus tard, dans l’acoustique idéale du Grosses Festspielhaus de Salzbourg, les retrouvailles avec cette force de frappe typiquement américaine sont d’emblée saisissantes. Même si les musiciens ont en partie changé, et Timothy Adams n’est plus là, on retrouve toujours cette même impression de sonorité fortement cuivrée, relativement massive aussi. Une rutilance qui loin de s’être atténuée paraît même aujourd’hui un peu agressive, et qu’on peut ne pas tellement apprécier, en particulier dans la Cinquième Symphonie de Mahler donnée en seconde partie de programme. Les cuivres rugissent comme autant de grosses cylindrées, éclipsant une petite harmonie moins riche en tempéraments exceptionnels, et les cordes manquent de transparence, sonnant comme des blocs certes homogènes, dont la dynamique peut varier de façon très calculée, mais sans qu’ici la somme des tempéraments musicaux de chacun fusionne vraiment en un tout expressif. L’Adagietto en souffre, bien calibré par un chef qui en respecte les nuances à la lettre (sauf au début, avec une harpe qui joue trop fort), mais sans qu’il en découle jamais autre chose que des variations de volume globalement dépourvues d’âme. Les mouvements rapides ont davantage d’allure, Honeck veillant à une lecture scrupuleuse de la partition, dont pas un détail n’échappe à des musiciens toujours précis, mais là encore l’esprit n’y est pas vraiment. Une sorte de grande démonstration symphonique un peu abstraite, où la constante préoccupation d’avancée du chef finit par emboîter les épisodes les uns dans les autres sans laisser à l’auditeur suffisamment de répit. Quelques moments de grâce, dont le splendide solo de cor du Scherzo, littéralement chanté par l’imposant William Caballero, mais dans l’ensemble cette lecture stricte suscite une diffuse sensation de machine somptueuse trop bien réglée. Une précision qui nous rappelle parfois les interprétations mahlériennes du défunt Michael Gielen, mais malheureusement sans l’esprit viennois et la chaleur que le chef autrichien parvenait, toujours à préserver, en dépit de cette rigueur. Quant au fil narratif, il finit par se perdre, à moins d’une très grande familiarité avec cette symphonie, que manifestement ce soir, dans la salle, tout le monde n’a pas. Autour de moi, sur la dernière ligne droite de ce concert très long, beaucoup paraissent s’ennuyer. Une léthargie dissipée ensuite par un bis plus facile, la dernière des Valses de la Suite du Chevalier à la rose de Richard Strauss, mais là encore dans une interprétation davantage américaine, avec ses cuivres tonitruants, que viennoise.


On se souviendra surtout de cette soirée pour sa première partie : un Troisième Concerto de Rachmaninov dominé par Yefim Bronfman avec une aisance impériale. Là aussi, l’ouvrage est touffu, ce qui requiert du soliste de savoir avant tout clarifier le propos, de rendre lisible prioritairement ce qui nourrit l’agogique des phrases, en laissant le reste à l’arrière‑plan, bref de faire de la musique avant de simplement jouer du piano. Et là, vraiment, Bronfman, non seulement reste toujours aussi implacablement virtuose, du haut de ses cinquante ans de carrière, mais ne nous lâche jamais, nous guide, chante, articule ses phrases comme autant d’éléments d’un discours continuellement cohérent. Quant à sa force de frappe, elle lui permet de dominer même les cuivres d’un orchestre auquel Manfred Honeck lâche la bride dans le Finale, après l’avoir minutieusement contrôlé lors des deux mouvements précédents. Un beau travail d’accompagnateur, à la recherche d’une véritable fusion avec le soliste, y compris même quand celui-ci restreint délibérément sa ligne à de subtiles nuances piano. A cet égard, lors des premières mesures de l’Allegro ma non tanto, la préparation de l’entrée d’un Bronfman ayant prévu d’arriver vraiment sur la pointe des pieds, requiert même de réduire l’ensemble de l’orchestre à un « presque rien » sonore. L’effet ne paraît à vrai dire pas tout à fait concluant au début, mais en revanche il est superbement au point à l’autre bout du mouvement, lors de sa réexposition. Et de toute façon, ici, c’est le soliste qui impose constamment sa loi, le chef se limitant à mettre attentivement en valeur toutes ses intentions, mais en maintenant aussi un cadre relativement strict, ne laissant place à aucune embardée sentimentale. Donc un Rachmaninov à la fois puissamment lyrique et toujours d’un goût parfait. Ces dernières années, Yefim Bronfman a pu parfois nous décevoir, dans des concertos de Beethoven ou Brahms qu’il joue souvent, par une approche devenue un peu massive voire un rien routinière, mais là, au cours de cette confrontation avec l’un des sommets les plus exigeants du répertoire, il nous convainc à nouveau totalement.



Laurent Barthel

 

 

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