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Affinités satistes Saint-Jean-de-Luz Ciboure (Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine Les Récollets - Ancienne chapelle) 09/04/2024 - Erik Satie : Gymnopédies – Gnossiennes – Trois petites pièces montées : 1. « De l’enfance de Pantagruel (Rêverie) » – Véritables Préludes flasques (pour un chien) – Sports et Divertissements : 9. « Bain de mer »
John Cage : All Sides of the Small Stone, for Erik Satie – In a Landscape – Dream Bertrand Chamayou (piano)
(© Festival Ravel/Christophe de Dreuille)
En cette dernière journée, le Festival Ravel en Pays basque se projette déjà vers 2025 : comme le rappelle Bertrand Chamayou, directeur artistique et président, ce sera bien sûr le sesquicentenaire de Ravel mais également le centième anniversaire de la mort de Satie. Si le programme de salle expose une certaine forme d’admiration que le premier pouvait exprimer à propos du second, on ne peut pas dire que l’estime ait été équitablement partagée : ayant pourtant dédié sa Deuxième Sarabande à son cadet, Satie, jamais à cours de boutades et de vacheries, a eu ce mot fameux lorsque Ravel demanda en 1920 à ce que sa nomination dans l’ordre la Légion d’honneur soit retirée : « Mais toute sa musique l’accepte ». Il y a pourtant une indéniable proximité esthétique entre eux – on se souvient d’ailleurs que lorsque Louis Aubert créa en 1911 les Valses nobles et sentimentales lors d’un récital dont le principe était de ne pas révéler le nom des compositeurs, le public en attribua la paternité à une courte majorité à Ravel, Satie venant immédiatement après.
John Cage avouait lui aussi une dette à l’égard du maître d’Arcueil. En 1963, il organisa à New York la première exécution intégrale des Vexations, ces dix‑neuf heures de piano où se répète 840 fois la même cellule de 80 secondes, tandis que le caractère à la fois provocateur et mystique de 4’ 33’’ a nettement quelque chose de satiste. Ce qu’on sait sans doute moins, en revanche, c’est que ses œuvres de jeunesse portent clairement la marque de Satie, d’où ce récital associant les deux musiciens, dont le titre, « Letter(s) to Erik Satie », reprend celui d’une pièce de Cage restée mystérieuse. Sur un Yamaha installé au milieu de la chapelle de l’ancien couvent des récollets de Ciboure, Bertrand Chamayou revient ainsi à son album paru l’an dernier (Warner) dans un concert de près d’une heure où trois compositions de Cage témoignent de cette parenté : All Sides of the Small Stone, for Erik Satie, retrouvée en 2015 dans les papiers de son élève James Tenney (1934‑2006), a vraiment tout d’une Gnossienne, tandis que deux pièces plus développées de 1948, In a Landscape et Dream, si elles demeurent planantes et hypnotiques par l’usage des répétitions et le recours à la pédale, ont également quelque chose de debussyste.
Le reste du concert est intégralement consacré à Satie, principalement les trois Gymnopédies et les sept Gnossiennes. Avec ces pages d’apparence souvent assez simple qui s’aventurent rarement dans la nuance forte, une certaine monotonie pourrait s’installer, même si le pianiste prévient le public, qui a rempli le parterre et les gradins, qu’il va « entrer dans un état de lévitation. Mais ce risque est conjuré par quelques pièces plus mobiles, comme « De l’enfance de Pantagruel », « Bain de mer » ou les Véritables Préludes flasques (pour un chien), et, surtout, par un jeu d’une grande variété, jamais recto tono, prenant soin de phraser et n’excluant pas le rubato – les Gymnopédies évoquent ainsi l’Adagio assai du Concerto en sol, tandis que le caractère vindicatif de certaines des Gnossiennes est nettement accentué.
Simon Corley
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