About us / Contact

The Classical Music Network

München

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Idomenée chez lui

München
Nationaltheater
07/05/2024 -  et 8* juillet 2024
Wolfgang Amadeus Mozart : Idomeneo, K. 366 et 367
Pavol Breslik (Idomeneo), Emily D’Angelo (Idamante), Hanna-Elisabeth Müller (Elettra), Olga Kulchynska (Ilia), Jonas Hacker (Arbace)
Andreas Skouras (pianoforte), Bayerischen Staatsoper, Münchner Knabenchor, Christoph Heil (chef de chœur), Bayerisches Staatsorchester, Ivor Bolton (direction musicale)
Antú Romero Nunes (mise en scène), Dustin Klein (chorégraphie), Phyllida Barlow (décors), Victoria Behr (costumes), Michael Bauer (lumières)


(© Wilfried Hösl)


En 2017, la plasticienne Phyllida Barlow, alors âgée de 72 ans, avait représenté le Royaume‑Uni à la Biennale d’art contemporain de Venise, consécration qui inclut obligatoirement le réagencement temporaire complet du Pavillon du Royaume‑Uni, construit en 1909, dans les jardins de la Biennale. Phyllida Barlow y avait alors saturé l’espace disponible par de fascinants assemblages hétéroclites, souvent superposés en porte‑à‑faux, vibrant de multiples nuances d’orange et de jaune‑vert, en résonance avec les gris et les ocres d’éléments davantage laissés à l’état brut. De hautes structures, caractéristiques de l’esthétique de l’artiste, tantôt pseudo-minérales, tantôt métalliques, ou encore d’un aspect rappelant le bois flotté, constructions dérisoires, mélange d’archaïsme et de modernité décatie, contrariées voire bouleversées sous l’influence d’éléments naturels hostiles...


La visite de l’ensemble avait suffisamment convaincu l’ancien intendant Nikolaus Bachler pour l’inciter à confier à Phyllida Barlow les décors d’une nouvelle production d’Idomenée de Mozart, prévue pour juillet 2021, au Prinzregententheater de Munich. Et ce projet a bien tenu ses promesses : un plateau brumeux, entièrement occupé par plusieurs hautes structures mobiles, dispositifs constamment exposés à vue sous de nouveau angles, par des machinistes aux combinaisons colorées, environnement favorable pour la mise en scène, fluide et subtilement travaillée, signée par Antú Romero Nunes. Assurément l’une des productions mémorables de l’ère Bachler, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être reprise ensuite au Nationaltheater, dès 2023, cas très rare pour une production estivale donnée au Prinzregententheater. Mais il est vrai qu’il est souhaitable que Munich puisse garder régulièrement Idomenée à son répertoire, l’ouvrage ayant été créé ici même, en 1781, dans le Théâtre Cuvilliés tout juste voisin. Une mission patrimoniale pour laquelle cette production, esthétique et fonctionnelle, fait décidément bien l’affaire.


Seul point noir des représentations initiales de 2021 : la direction arbitraire et heurtée de Constantinos Carydis, qui multipliait les recherches d’originalité hasardeuses. Trois ans plus tard, pour ces deux soirées du festival 2024, c’est Ivor Bolton qui récupère la production, avec très peu de répétitions préalables, ce qui laisse en définitive moins de place pour les coquetteries et les chichis. Certes la battue du chef britannique reste un peu raide et nerveuse, mais c’est avant tout l’un des plus beaux orchestres mozartiens au monde qui garde la main, pour un résultat fabuleux d’aération et de musicalité. Même les cors naturels, ce soir relativement discrets, ne dénaturent pas l’ensemble. De quoi faire endurer sans aucun problème un spectacle particulièrement long, Idomenée étant non seulement donné ici presque sans aucune coupure (les deux airs d’Arbace sont conservés, ce qui est rarissime), mais même enrichi de multiples ajouts : bouts de Divertimenti joués sur scène, partie lente de la Fantaisie pour piano K. 397, et même l’air de concert Chio mi scordi di te. Là, on peut déplorer une rupture stylistique flagrante, cet air ayant été composé quinze ans plus tard, et pas du tout pour une représentation d’Idomenée, mais on ne va pas s’en plaindre, tant ce moment paraît miraculeux, magnifiquement chanté par Emily d’Angelo, en duo avec le pianoforte d’Andreas Skouras. Le ballet final est lui aussi donné dans son intégralité, mais là, malheureusement, c’est la chorégraphie de Dustin Klein, d’une créativité un peu hirsute, qui ne soutient pas l’intérêt.


L’affiche vocale, d’un enviable niveau, récupère la plupart de ses titulaires de 2021, avec toujours l’Idamante de la mezzo canadienne Emily D’Angelo, qui paraît encore en progrès, et reste physiquement un jeune premier formidablement crédible, y compris quand la scénographie, friande d’acrobaties suspendues, lui impose même un saut dans le vide, impressionnante chute d’Icare au ralenti, harnachée au bout d’un câble. Olga Kulchynska reste une Ilia substantielle, véritable soprano lyrique et non voix de soubrette fluette à la mode, Hanna‑Elisabeth Müller paraissant en revanche toujours un peu en deçà du format dramatique en principe requis pour Elettra, déficit qu’elle camoufle grâce à un jeu scénique très intense. Côté ténors, Jonas Hacker est un Arbace plutôt agile, dont la probité justifie pleinement le maintien de ses deux airs, et Pavol Breslik, même si les vocalises les plus échevelées ne sont toujours pas son point fort, chante un Idoménée d’une stature indiscutablement royale. Donc une reprise dans l’ensemble fastueuse, d’un opéra pourtant particulièrement difficile à mettre en scène et à chanter sans qu’immanquablement d’agaçantes frustrations se fassent jour ici ou là. Ce soir, même si le propos s’effiloche un peu sur la fin, les déceptions restent minimes.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com