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Celles qui aiment plus l’argent que les hommes

Bruxelles
La Monnaie
06/14/2024 -  et 16, 18, 19, 21, 23, 25, 27, 28, 30* juin 2024
Giacomo Puccini : Turandot
Ewa Vesin*/Svetlana Aksenova (Turandot), Ning Liang (Altoum), Michele Pertusi (Timur), Stefano La Colla*/Amadi Lagha (Calaf), Venera Gimadieva*/Ruth Iniesta (Liù), Leon Kosavic (Ping, Un mandarino), Alexander Marev (Pang, Il Principe di Persia), Valentin Thill (Pong)
Chœurs, Académie des chœurs et Chœurs d’enfants de la Monnaie, Emmanuel Trenque (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Ouri Bronchti (direction musicale)
Christophe Coppens (mise en scène, costumes, décors), Peter Van Praet (lumières)


(© Matthias Baus)


Enfin de retour : la précédente production de Turandot (1926) à la Monnaie remonte à 1979, avant le mandat de Gerard Mortier, dont il est de notoriété publique qu’il n’appréciait guère la musique de Puccini. Et il revient à Christophe Coppens, un artiste multidisciplinaire, de mettre en scène le dernier opéra du compositeur à l’occasion du centenaire de sa mort, à Bruxelles.


L’histoire se déroule à notre époque, chez les ultra-riches, dans une demeure d’un luxe outrancier, lors d’une réception. Avec quelques références à la Chine, cette transposition ne pose pas de réel problème de lisibilité et de cohérence. Turandot apparaît en jeune femme pervertie par son milieu toxique et égocentrique. La direction d’acteur demeure plutôt conventionnelle, sans négliger la psychologie des principaux personnages. Quant aux rôles secondaires, bien caractérisés, ils se détachent suffisamment. Le metteur en scène parvient à concilier les dimensions grandioses et intimistes de cet opéra. A condition d’adhérer à l’esthétique et à la transposition voulues par ce dernier, la scénographie attire inévitablement l’attention du fait de la qualité de sa réalisation, jusqu’aux détails, jusqu’au moindre costume, aux lumières également, à l’exception des effets stroboscopiques, heureusement peu nombreux, qui n’apportent rien de décisif. Christophe Coppens propose donc un point de vue plutôt original, voire tranché, sur Turandot et réussit à concrétiser ses intentions, mais ce spectacle est de nature à susciter des avis divers – dans notre cas un léger manque d’intérêt.


Plusieurs compositeurs ont tenté d’achever cet opéra. La Monnaie retient la version d’Alfano, mais la conclusion de ce spectacle, musicalement pas vraiment à la hauteur de ce qui précède, possède une valeur dramatique relativement faible. La mise en scène aurait dû oser se passer de cette conclusion d’un autre compositeur et opter pour une fin plus ouverte et énigmatique que celle‑ci, en définitive assez inepte : le prétendant sacrifié au début sort d’un tableau représentant une blessure, la chair à vif, tandis que les forces de l’ordre emmènent Turandot sous le regard satisfait d’Altoum. Calaf, chante quant à lui, dans les coulisses avec un effet sonore artificiel afin de faire croire que la voix provient d’un téléviseur géant.


L’impression demeure mitigée. De Christophe Coppens, nous préférons donc, à cette mise en scène, celle de La Petite Renarde rusée, plus que celle du double spectacle Bartók.


Le metteur en scène dresse en tout cas de Turandot un portrait assez juste et pertinent, celle d’une femme en même temps terrible et fragile. Ewa Vesin se montre dans l’ensemble assez convaincante. La soprano polonaise met en exergue une voix solide et tranchante, la puissance n’excluant ni l’expressivité, ni la bonne tenue générale du chant. En dépit de la relative matité du timbre, une caractéristique, selon nous, en rien rédhibitoire, Stefano La Colla livre une admirable performance en Calaf, une incarnation réussie, par la justesse de la caractérisation, mélange de charisme et de froide assurance, et par la tenue vocale, quasiment irréprochable, avec suffisamment de puissance et de sentiments.


La Liù fine et digne de Venera Gimadieva nous séduit et nous touche, grâce à sa présence magnétique et à sa voix délicieuse, toute de finesse et de clarté. Admirable, aussi, le très expérimenté, et comme toujours impeccable, Michele Pertusi incarne un Timur de belle stature. Extravertis et précis, Leon Kosavic, Alexander Marev et Valentin Thill forment un fort bon trio, drôle et sarcastique, en Ping, Pang et Pong. Christophe Coppens a voulu que le pouvoir soit détenu dans ce contexte contemporaine ultra‑luxueux et capitaliste par des femmes, raison pour laquelle Altoum devient une impératrice, un choix plutôt logique, en regard de la conception, mais qui montre à quel point beaucoup de metteurs en scène ne se gênent plus pour modifier, même un peu, les livrets, en ce compris les plus réussis, afin de les coller à leurs intentions. Ning Liang peine tout de même à convaincre dans ce personnage, vocalement du moins, malgré une apparence physique assez probante – l’attitude distante, le port de lunettes fumées rouges.


Le chef et l’orchestre exploitent pleinement le potentiel et la richesse de cette fascinante composition. Ouri Bronchti, pour toutes les représentations, remplace Kazushi Ono, qui a dû se retirer de la production pour des raisons de santé. Attentif aux détails, il livre à la tête de musiciens motivés et compétents une direction approchant de l’idéal, équilibrée entre puissance et tendresse, profondeur et monumentalité, avec une tension permanente, même dans les parties plus lyriques. L’orchestre aurait toutefois pu sonner avec un peu plus finesse et de transparence. Quant aux choristes, ils se montrent formidables de cohésion et d’expressivité, de justesse et de présence, en dépit de leur attitude le plus souvent statique. Pour la défense du metteur en scène, le nature de cet opéra n’offre pas autant que d’autres des possibilités de mouvements scéniques sans tomber dans l’agitation un peu vaine.


Cette mise en scène en rien exceptionnelle mais non dépourvue de mérite se diluera probablement dans notre mémoire avec le temps, mais s’il devait y demeurer une trace de ce spectacle, ce sera celle laissée par les chœurs et l’orchestre.


Assister à la dernière représentation de la saison offre aussi l’occasion, lors des saluts, d’applaudir, selon la tradition, ceux qui partent à la retraite, en l’occurrence, ce dimanche, Luc de Meulenaere, ténor des chœurs, qui a justement débuté à la Monnaie dans cette Turandot de 1979, et Yves Cortvrint, altiste de l’orchestre, avec, pour chacun d’eux, en plus de celle du directeur, Peter de Caluwe, une prise de parole, heureusement pas trop longue, touchante et sincère.



Sébastien Foucart

 

 

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