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Ici mourut Puccini Milano Teatro alla Scala 06/25/2024 - et 28 juin, 4, 6, 9, 12 juillet 2024 Giacomo Puccini : Turandot Anna Netrebko (Turandot), Raúl Gimenez (Altoum), Vitalij Kowaljow (Timur), Yusif Eyvazov*/Roberto Alagna (Calaf), Rosa Feola (Liù), Sung‑Hwan Damien Park (Ping), Chuan Wang (Pang), Jinxu Xiahou (Pong), Adriano Gramigni (Un Mandarino), Silvia Spruzzola*/Flavia Scarlatti (Prima ancella), Vittoria Vimercati*/Marzia Castellini (Seconda ancella)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Coro di voci bianche dell’Accademia Teatro alla Scala, Marco De Gaspari (preparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Michele Gamba (direction musicale)
Davide Livermore (mise en scène, décors), Eleonora Peronetti, Paolo Gep Cucco (décors), Mariana Fracasso (costumes), Antonio Castro (lumières), D‑Wok (vidéo)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
« Ici mourut Giacomo Puccini ». La nouvelle production de Turandot à Milan s’interrompt brièvement à la mort de Liù. Les lumières s’allument dans la salle, des enfants vêtus de noir entrent avec de petites bougies électriques, qui ont aussi été distribuées aux spectateurs pendant l’entracte. Au fond du plateau, un écran vidéo géant affiche un portrait de Puccini, avec au‑dessous exactement les mêmes mots qu’avaient prononcés Arturo Toscanini lors de la création de l’opéra à la Scala, le 25 avril 1926, avant que le chef ne dépose sa baguette, mettant un terme à la représentation. Mais aujourd’hui la soirée s’est poursuivie avec le finale composé par Franco Alfano, disciple de Puccini. C’est par cet hommage émouvant que l’illustre théâtre fête le centième anniversaire du décès du compositeur.
Cette nouvelle production, particulièrement spectaculaire, a été confiée à Davide Livermore. Le metteur en scène fourmille d’idées et c’est vrai qu’il se passe énormément de choses sur scène, avec force images vidéo et effets spéciaux. L’action du premier acte est située dans une banlieue de Pékin tout à la fois moderne et ancienne, particulièrement sombre et anxiogène, avec de hautes tours grises et de grandes enseignes lumineuses, et où des clans violents règnent en maître. Le Prince de Perse – qui n’a pas réussi à résoudre les énigmes de Turandot et qui par conséquent a été condamné à mort – est incarné par un danseur exécutant des mouvements impressionnants. Le deuxième acte, qui débute par le trio de Ping, Pang et Pong, se déroule dans un luxueux lupanar géant aux teintes rouges, embrumé de volutes d’opium, l’Hôtel d’Amour dont on avait aperçu la façade décatie au premier acte. Turandot est accompagnée en permanence d’une figurante représentant son aïeule violée il y a mille ans. Le dernier acte, celui du grand duo final composé par Alfano, est beaucoup plus sobre, avec pour seul élément de décor une énorme lune rouge sur un fond entièrement noir.
Dans la fosse, le chef italien Michele Gamba livre une interprétation particulièrement impétueuse et haletante du chef‑d’œuvre posthume de Puccini, privilégiant l’intensité dramatique et la force théâtrale, au détriment peut‑être du raffinement de certains détails et couvrant parfois les chanteurs. Comme on pouvait s’y attendre, la distribution est dominée par la splendide Turandot d’Anna Netrebko, princesse à la voix immense et bien projetée, aux graves mordorés, riches et sonores mais aux aigus toujours lumineux et cristallins, avec de splendides sons filés pianissimo ; la chanteuse est aussi confondante de présence scénique, incarnant une femme terriblement froide et distante au début de l’ouvrage, avant de se faire cruelle, désespérée puis sensuelle. Malgré un timbre ingrat, le Calaf de Yusif Eyvazov impressionne par la vaillance et la puissance de son chant. Rosa Feola est une émouvante Liù, aux accents délicats, au legato exemplaire et aux mille et une nuances. Le Timur de Vitalij Kowaljow séduit tout autant par la puissance de son chant que par la force de son incarnation scénique. Ping, Pang et Pong sont des ministres particulièrement truculents et facétieux, dont les voix se marient parfaitement. On mentionnera également l’Altoum du vétéran Raúl Gimenez, sans oublier la belle prestation du Chœur de la Scala, imposant d’engagement.
Claudio Poloni
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