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Une production inégale

Frankfurt
Oper
06/16/2024 -  et 20, 23*, 28 juin, 6, 11, 14 juillet 2024
Fromental Halévy : La Juive
Ambur Braid (Rachel), John Osborn (Eléazar), Gerard Schneider (Léopold), Monika Buszkowska (Eudoxie), Simon Lim (Cardinal Brogni), Sebastian Geyer (Ruggiero), Danylo Matviienko (Albert)
Chor der Oper Frankfurt, Tilman Michael (chef de chœur), Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Henrik Nánási (direction musicale)
Tatjana Gürbaca (mise en scène), Klaus Grünberg (décors, lumières), Silke Willrett (costumes), Nadja Krüger (vidéo), Maximilian Enderle (dramaturgie)


S. Lim, J. Osborn (© Monika Rittershaus)


On attendait beaucoup, peut-être trop, de la nouvelle production de La Juive (1835) présentée à Francfort pour conclure la saison. Le chef‑d’œuvre d’Halévy mérite en effet d’être plus largement connu et reconnu, tant ses qualités dramatiques sombres et éloquentes impressionnent par la variété des moyens employés, faisant le pont entre Meyerbeer et Verdi, en une clarté d’expression toute française. En héritier lointain de la tragédie lyrique, ce grand opéra chemine entre déclamation théâtrale et chant ardent, avec une grande place laissée aux chœurs. Dans ce cadre, on se réjouit du choix de la version française (ce qui n’est pas systématique dans la capitale de la Hesse, qui préfère souvent les versions adaptées dans la langue de Goethe), malgré un niveau de prononciation très hétérogène selon les interprètes : rien d’étonnant, toutefois, puisqu’aucun francophone n’a été retenu pour cette production.


On connaît les qualités superlatives de John Osborn (Eléazar) en ce domaine, qui montre une fois encore toutes ses affinités avec un rôle qu’il maîtrise parfaitement (voir notamment à Genève en 2022), contrairement à ses partenaires, tous en prise de rôle. Si le ténor américain a perdu en brillant et en projection avec les années, l’articulation naturelle de ses phrasés reste décisive dans ce répertoire, où chaque mot doit être sculpté au service du sens. A cet égard, la scène de la prison constitue l’un des moments les plus marquants de la soirée, et ce d’autant plus que le rôle émouvant du cardinal Brogni est tenu par un autre grand artiste en la personne de Simon Lim. Le Sud‑Coréen impressionne par sa propension à faire vivre son personnage de toutes ses failles : l’engagement sans ostentation, entre diction millimétrée et résonance d’émission, est un régal tout du long.


On ne peut malheureusement en dire autant des autres rôles, tous tenus par des membres ou anciens membres de la troupe de l’Opéra de Francfort, qui déçoivent à des degrés divers. Ainsi d’Ambur Braid (Rachel), dont la voix beaucoup trop lourde la met en difficulté dans les passages rapides et la justesse, très relative dans l’aigu. Monika Buszkowska (Eudoxie) a les mêmes difficultés dans les parties enlevées, souvent criardes, tandis qu’on cherche en vain la légèreté attendue dans les parties doucereuses. Gerard Schneider (Léopold) a pour lui la beauté du timbre, malheureusement ternie par une émission trop nasale. Les parties plus virtuoses le voient aussi forcer son instrument, souvent couvert par l’orchestre – il est vrai tonitruant dans les verticalités.


La direction de Henrik Nánási souffle en effet le chaud et le froid toute la soirée, en ralentissant à l’excès les passages raffinés, tout en accélérant en contraste les parties enlevées : le chef hongrois semble plus intéressé par les ruptures nettes et abruptes que par l’expression des états d’âme, pourtant essentielle ici. Si les chœurs montrent une même propension à l’emportement débridé en première partie, ils trouvent un apaisement bienvenu à la fin, en accompagnant subtilement les interprètes dans leurs atermoiements.


Dans ce contexte, la mise en scène déroutante de Tatjana Gürbaca met du temps à convaincre, d’autant plus qu’elle ne choisit pas la facilité du fait d’un décor volontairement étroit et unique pendant toute la représentation. Il aurait fallu disposer d’une direction d’acteur à la hauteur pour animer les scènes de foule, à l’agressivité caricaturale et répétitive en première partie. Les scènes intimistes sont plus réussies en comparaison : on aime l’idée de faire endosser à Eudoxie les habits de Rachel, lorsque cette dernière vient se proposer comme servante. C’est là un moyen d’évoquer la souffrance de l’épouse délaissée, mais toujours éprise de son mari Léopold. Son intervention pour le sauver est ainsi rendue plus crédible, en utilisant ses enfants pour émouvoir Rachel. Aux côtés de ces ajouts réalistes, la vidéo diffusée pendant le ballet donne à voir les premières visions délirantes qui infusent peu à peu le spectacle, jusqu’au spectaculaire finale en forme de carnaval grotesque. De quoi accompagner les personnages dans leurs pertes de repères respectives, à l’image d’une Rachel désormais grimée en putain sûre de ses charmes, mi‑ange, mi‑rebelle.


Après cette redécouverte inégale, deux autres raretés françaises viendront rythmer la prochaine saison de l’Opéra de Francfort, à chaque fois à l’occasion d’une nouvelle production : Guercœur de Magnard, récemment ressuscité à Strasbourg, et Le Postillon de Lonjumeau d’Adam. A l’image des nombreux Français vivant à Francfort, le répertoire national trouve une juste représentation sur la principale scène lyrique de Hesse, ce dont on ne se plaindra pas !



Florent Coudeyrat

 

 

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