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Pari audacieux, pari gagné

Geneva
Grand Théâtre
06/18/2024 -  et 20*, 23*, 26, 28, 30 juin 2024

18* et 26 juin 2024
Anna Bolena
Elsa Dreisig (Anna Bolena), Alex Esposito (Enrico VIII), Edgardo Rocha (Ricardo Percy), Stéphanie d’Oustrac (Giovanna Seymour), Olena Leser (Smeton), William Meinert (Lord Rochefort), Julien Henric (Sir Hervey)


20* et 28 juin 2024
Maria Stuarda
Stéphanie d’Oustrac (Maria Stuarda), Elsa Dreisig (Elisabetta), Edgardo Rocha (Roberto), Nicola Ulivieri (Talbot), Simone Del Savio (Lord Cecil), Ena Pongrac (Anna Kennedy)


23* et 30 juin 2024
Roberto Devereux
Edgardo Rocha (Roberto Devereux), Elsa Dreisig (Elisabetta), Stéphanie d’Oustrac (Sara), Nicola Alaimo (Lord Duc de Nottingham), Luca Bernard (Lord Cecil), William Meinert (Sir Gualtiero Raleigh), Ena Pongrac (Un page), Sebastià Peris (Un membre de la famille Nottingham)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Mark Biggins (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Stefano Montanari (direction musicale)
Mariame Clément (mise en scène), Julia Hansen (décors, costumes), Ulrik Gad (lumières), Clara Pons (dramaturgie et vidéo)


(© Monika Rittershaus)


A l’occasion de la nouvelle production de Roberto Devereux (1837) étrennée au début du mois, le Grand Théâtre de Genève reprend Anna Bolena (1830), présenté en octobre 2021, et Maria Stuarda (1835), programmé en décembre 2022, pour proposer deux cycles des trois opéras de Donizetti, sous le titre de « Trilogie Tudors ». Le pari est d’autant plus audacieux que les trois ouvrages sont défendus par le même chef, la même metteur en scène et les mêmes chanteurs dans les trois rôles principaux respectifs, ce qui, sauf erreur, constitue une première dans le monde lyrique. Au terme du premier cycle, force est de reconnaître la réussite de l’opération.


Les choses n’étaient pourtant pas gagnées d’avance car Donizetti n’a jamais conçu ses trois opéras comme formant un tout. Et d’ailleurs, il a choisi trois librettistes différents. Qui plus est, il n’a jamais pensé aux mêmes chanteurs pour les différents rôles, les livrets n’ont aucun point commun évident, si ce n’est que les trois intrigues se déroulent à la cour d’Angleterre (à différentes époques), et musicalement parlant, les différences sont claires entre Anna Bolena et Roberto Devereux, même si sept ans seulement séparent les deux ouvrages ; c’est d’ailleurs une évidence lorsqu’on entend les trois opéras de manière aussi rapprochée.


Avouons-le franchement, les choses n’avaient pas bien débuté à Genève. Il y a trois ans, dans Anna Bolena, les deux protagonistes principales (Elsa Dreisig et Stéphanie d’Oustrac) semblaient une erreur de casting, tant leurs vocalises étaient laborieuses et leur technique belcantiste sommaire. Dans Maria Stuarda, l’affrontement entre les deux souveraines n’avait jamais véritablement eu lieu, car les chanteuses manquaient alors d’envergure vocale et scénique. Retournement complet de situation avec Roberto Devereux il y a trois semaines, où Elsa Dreisig a livré une prestation exceptionnelle. Sur le plan scénique déjà, incarnant avec intensité et beaucoup d’émotion une Elizabeth Ire vieillissante, se déplaçant avec peine, rongée par les remords, frustrée et jalouse. Et surtout sur le plan vocal, avec un chant lumineux, des aigus rayonnants, des vocalises précises et affûtées, ainsi qu’une magnifique palette de couleurs et de nuances. Et miracle, l’Anna Bolena et la Maria Stuarda du premier cycle genevois ont confirmé toutes ces qualités, effaçant l’impression initiale, plutôt mitigée. Indéniablement, la voix de la chanteuse a gagné non seulement en substance mais aussi en agilité, en projection et en sûreté. Si Stéphanie d’Oustrac a, a priori, une voix bien trop lourde pour le belcanto et si elle peine à atteindre certains aigus (notamment en Sara de Roberto Devereux, un rôle clairement à la limite de ses possibilités vocales), sa voix chaude et corsée et sa superbe projection font merveille pour le reste. Styliste impeccable, avec un sens incroyable de la musique, Edgardo Rocha séduit lui aussi dans les trois rôles, même si Percy de Roberto Devereux lui pose quelques problèmes dans le haut de la tessiture ; et d’ailleurs le ténor escamote les notes les plus aiguës.


Parmi les rôles secondaires, on retient surtout l’Enrico VIII (Anna Bolena) violent et brutal d’Alex Esposito, à la superbe projection, ainsi que le Duc de Nottingham de Nicola Alaimo, au magnifique legato. Il convient aussi de relever la magnifique prestation du Chœur du Grand Théâtre dans les trois ouvrages. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Stefano Montanari fait pulser la musique de Donizetti, privilégiant le dynamisme et les contrastes pour rendre au mieux la vérité théâtrale.


Dans l’esprit de la trilogie, Julia Hansen a conçu un décor unique pour les trois opéras. Les intrigues se déroulent ainsi entre d’immenses parois de bois qui représentent différentes pièces du palais et qui s’ouvrent vers l’extérieur, sur des parcs et des forêts. La metteur en scène Mariame Clément fait d’Elizabeth Ire le point commun entre les trois ouvrages (la souveraine, fille d’Anne Boleyn, n’apparaît pas nommément dans le premier ouvrage, mais elle est incarnée par des figurantes à plusieurs étapes de sa vie, des figurantes qu’on voit aussi dans les deux derniers ouvrages). Dans Anna Bolena, son père, Henri VIII, a fait décapiter sa mère et a contraint la jeune fille à assister à l’exécution. Une fois au pouvoir, la souveraine ne fera qu’hésiter entre sa volonté de s’affirmer et la hantise de reproduire les erreurs du passé. Et pourtant, c’est elle qui fera condamner à mort Mary Stuart puis Roberto Devereux. Saisissant. Deux cents ans après Donizetti, la fascination pour les Tudors semble toujours intacte.



Claudio Poloni

 

 

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