Back
Jardins sous la pluie et Feux d’artifice Lyon Saint-Germain-au-Mont-d’Or (Domaine des Hautannes) 06/16/2024 - Jean-Philippe Rameau : Deuxième Livre de pièces de clavecin, Suite en ré majeur : 1. « Les Tendres Plaintes » & 8. « Les Cyclopes »
Claude Debussy : D’un cahier d’esquisses – Masques
Franz Liszt : Années de pèlerinage (Deuxième Année : Italie), S. 161 : 7. « Après une lecture du Dante »
Robert Schumann : Etudes symphoniques, opus 13 Nour Ayadi (piano)
N. Ayadi (© Yann Bennis)
Créés en 2005, Les Pianissimes proposent en début d’été une exploration du répertoire pour claviers dans un esprit d’ouverture et de convivialité, avec la volonté d’atteindre un public aussi large que possible. Si l’inauguration de cette dix‑neuvième édition a été assurée par un artiste aussi chevronné que Philippe Bianconi (que nous regrettons de n’avoir pu entendre le 13 juin), la programmation se fixe surtout pour objectif de faire découvrir de jeunes talents musicaux. Le village de Saint‑Germain‑au‑Mont‑d’Or, situé dans le Val de Saône à une quinzaine de kilomètres au nord de Lyon, offre au festival un cadre très agréable, l’essentiel des concerts se déroulant en plein air, dans le parc du Domaine des Hautannes, où les organisateurs ont fait construire un auvent de bois largement ouvert, offrant une acoustique des plus satisfaisantes.
Après Marie-Ange Nguci, entendue la veille à l’Auditorium Maurice Ravel, c’est une autre jeune surdouée du piano que nous avons la chance de découvrir : originaire de Casablanca, diplômée du CNSMD de Paris et de l’Ecole normale de musique, mais également de Sciences Po Paris, Nour Ayadi propose en ce dimanche soir un programme de récital ambitieux, dont, micro en main, elle présente les morceaux avec beaucoup d’aisance et de clarté avant de se mettre au clavier. En premier lieu, elle s’emploie à explorer la filiation supposée entre Rameau et Debussy : cette filiation revendiquée par Claude de France pour des motifs « identitaires » voire politiques se traduit‑elle réellement sur un plan musical ? C’est ce que cherche à suggérer Nour Ayadi dans ses explications préalables, et par un parallèle intelligemment agencé entre deux pièces de chaque compositeur. Toutefois, on est moins convaincu par l’écho que « Les Tendres Plaintes » voudraient trouver dans D’un cahier d’esquisses, que par le rapprochement des « Cyclopes » et de Masques, avec leurs croisements de mains virevoltants et leur mouvement de comédie galante. Il est vrai que ce début de concert est pour le moins perturbé par les éléments : l’averse redoutée tout l’après‑midi dans la région lyonnaise finit par éclater dès les premiers instants du récital ! Si la pianiste reste heureusement à l’abri de l’auvent, le public se trouve contraint de déployer d’urgence parapluies et imperméables à mesure que l’ondée s’intensifie, de sorte que les dernières notes de D’un cahier d’esquisses se perdent dans le bruit des gouttes et du froissement des ponchos de plastique. Nour Ayadi fait face à cet aléas climatique avec beaucoup de calme et de fair‑play, avant que Masques ne débute entre la fin de l’averse et le retour d’un rayon de soleil, dans un climat éminemment debussyste de « Jardins sous la pluie » !
Le soleil brille de nouveau franchement au moment d’aborder « Après une lecture du Dante », puis les Etudes symphoniques : la jeune femme n’a décidément peur de rien, ni d’enchaîner l’ensemble de son programme sans entracte, ni de s’attaquer à ces deux monuments du piano romantique. De fait, c’est dans ce répertoire, plus que dans Rameau et Debussy, que son interprétation semble s’épanouir, par la grâce d’une technique pianistique superlative : le jeu impressionne par sa maturité et sa densité, et l’on se délecte d’une sonorité qui vient de loin, reposant sur la sollicitation de doigts fermes et précis, la souplesse de poignets haut levés, et l’engagement des muscles des bras, des épaules et du dos. Judicieusement précédée de la lecture du poème homonyme de Victor Hugo, la fresque de Liszt est brossée avec le panache qu’elle demande, à grands traits de bravoure et d’imagination, en sachant donner du poids mais sans forcer, rugir et frapper quand il le faut, mais sans taper, et chanter avec une belle longueur de souffle dans les épisodes lyriques. La prise de risques est encore plus payante dans les Etudes symphoniques : l’affinité avec la langue schumannienne est patente, particulièrement dans ces pages symphoniques et virtuoses, dont l’interprétation fait ressortir toute la richesse mélodique et l’inventivité pianistique. Comme le montre le choix d’un tempo très retenu pour le thème initial, Nour Ayadi sait prendre son temps et calculer ses effets. De manière très délibérée, elle choisit de caractériser avec attention chacune des études, en mettant en valeur les beautés et les difficultés propres à chaque pièce, plutôt que de souligner avec trop d’insistance l’unité du cycle. Les variations les plus rapides prennent ainsi l’allure sous ses doigts de toccatas flamboyantes, tandis que les plus lentes s’imprègnent d’un climat nocturne, où se fait entendre avec éloquence la polyphonie du piano de Schumann, en particulier les voix intermédiaires. Le final, pris à un rythme haletant et conduit selon un crescendo spectaculaire, est à lui seul un véritable feu d’artifice pianistique, qui ne manque pas d’éblouir le public.
Donné en premier bis, « El Pelele » d’Enrique Granados convient à la perfection à ce piano saturé de couleurs et puissamment rythmé, avant que « Les Niais de Sologne » n’opèrent un dernier retour à Rameau, démontrant une nouvelle fois la variété du talent de cette magnifique interprète. Rendez‑vous au plus tard l’année prochaine pour le vingtième anniversaire des Pianissimes !
Le site de Nour Ayadi
Le site des Pianissimes
François Anselmini
|