About us / Contact

The Classical Music Network

Lyon

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Magie noire

Lyon
Auditorium Maurice Ravel
06/16/2024 -  
Augusta Holmès : Ludus pro Patria : 2. « Interlude. La Nuit et l’Amour »
Camille Saint‑Saëns : Concerto pour piano n° 2 en sol mineur, opus 22
Hector Berlioz : Symphonie fantastique, opus 14

Marie-Ange Nguci (piano)
Orchestre national de Lyon, Nikolaj Szeps‑Znaider (direction)


M.-A. Nguci (© Caroline Doutre)


C’est presque devenu une habitude pour le public lyonnais : tout au long de cette saison 2023‑2024, l’Orchestre national de Lyon (ONL) a participé activement à « Unanimes ! », « initiative nationale dédiée à la promotion des compositrices et de leur répertoire » lancée par l’Association française des orchestres. Dans le cadre de ce programme ayant notamment pour but de mettre en valeur un « matrimoine » musical longtemps négligé, et après avoir joué Lili Boulanger, Mel Bonis et quelques autres, l’ONL propose de découvrir une œuvre d’Augusta Holmès (1847‑1903), musicienne prisée en son temps par Liszt, Gounod ou Saint‑Saëns et wagnérienne passionnée. Elle est l’autrice dans les années 1880 de plusieurs œuvres d’inspiration patriotique, notamment de l’ode symphonique Ludus pro Patria (créée en 1888), dont « La Nuit et l’Amour » constitue le deuxième mouvement, noté Andante amoroso, interlude orchestral et nocturne extatique au milieu d’une vaste fresque « guerrière » pour récitant, chœur et orchestre. Dans un climat où l’inspiration wagnérienne est sensible, la pièce débute par un thème capiteux, magnifiquement énoncé par les violoncelles, puis repris et développé par les différents pupitres, ce qui permet d’admirer la beauté des timbres de l’orchestre. Si le style de cette musique peut sembler un peu pompier (à l’instar du tableau de Puvis de Chavannes dont elle s’inspire) avec quelques effets convenus, il s’agit tout de même d’une découverte intéressante, qui donne envie d’entendre d’autres pages d’Augusta Holmès.


Toute naturelle est la transition avec Saint-Saëns, qui fut son contemporain et dont elle refusa une offre de mariage ! Même habillée d’une robe de princesse de conte de fées, la soliste du soir, Marie‑Ange Nguci, conserve l’allure de la première de la classe qu’elle devait être (lauréate d’un master de piano au CNSMD de Paris à 16 ans, d’un PhD de musique à la City University de New York à 18 ans et de nombreuses autres distinctions musicales). Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Son interprétation du Deuxième Concerto la révèle comme une pianiste aux doigts agiles et à l’intelligence musicale aiguë, mais également comme une interprète au tempérament volcanique. C’est avec une extrême concentration qu’elle en aborde le premier mouvement, que Cortot percevait comme « plus riche d’ardeur et d’émotion que nulle autre composition pianistique de Saint‑Saëns ». C’est dans cet esprit, celui d’un romantisme sombre et inquiet, habituellement peu associé au compositeur, qu’elle se lance dans la majestueuse introduction, dont elle fait résonner le style d’orgue avec un lyrisme et une sûreté impressionnantes en cette ténébreuse tonalité de sol mineur. Basses profondes, syncopes frémissantes, octaves et traits décidés, le jeu pianistique de premier ordre de Marie‑Ange Nguci se déploie tout au long de cette sorte de fantaisie pour piano et orchestre, qui culmine dans une cadenza ad libitum d’une rare intensité poétique. Face à une pianiste aussi charismatique, l’accompagnement de Szeps‑Znaider a le tact de se faire discret, parfois presque trop, dans le souci de mettre en valeur une soliste qui subjugue manifestement chef et orchestre. Le dialogue s’équilibre dans l’Allegro scherzando, où les bois répondent avec verve aux sonorités brodées par les doigts agiles d’une Marie‑Ange Nguci, constamment soucieuse de solliciter et d’entraîner ses partenaires dans ce divertissement féerique. Mais c’est avec le Presto final, dont elle saisit le rythme de tarentelle dans une impulsion vigoureuse et précise, qu’elle achève d’électriser l’orchestre et le public. Cette vision très affirmée du concerto rend pleinement justice à Saint‑Saëns, à l’opposé de l’image d’un compositeur académique destiné aux pianistes aux doigts véloces et à l’imagination musicale un peu courte.


L’autorité du parti pris se confirme au moment des bis avec un rapprochement surprenant mais stimulant, lorsque Marie‑Ange Nguci choisit d’interpréter un long extrait de la partie soliste du Concerto pour la main gauche de Ravel : comme dans sa lecture de Saint‑Saëns, les prestiges de la virtuosité « sinistre » sont mis au service d’une expressivité fiévreuse et d’une magie noire sonore captivante. En second bis, la Quatrième des Etudes opus 111 de Saint‑Saëns, qui fait entendre « Les Cloches de Las Palmas », est une habile étude de sonorités, apparaissant comme le chaînon manquant entre les lisztiennes « Cloches de Genève » et « La Vallée des cloches » de Ravel.


Signe de la parfaite cohérence du programme de la soirée, fièvre romantique et magie noire imprègnent également la seconde partie, dévolue à la Symphonie fantastique. Les quelques hésitations de son démarrage sous la baguette de Szeps‑Znaider ne reflètent pas seulement les changements d’états d’âme du premier mouvement (« Rêveries. Passions »): si les pupitres des cordes impressionnent par leur unité et leur densité, ils ont tendance à couvrir les interventions des bois, tandis que la direction du chef, ici aussi fougueuse qu’elle était réservée et attentive dans le concerto, brouille quelquefois la compréhension des plans sonores. Ces menus problèmes de lisibilité et d’équilibre se résolvent toutefois rapidement dans les mouvements suivants : après « Un bal » cambré avec souplesse et bien « scénarisé » (superbes flûtes dans l’énoncé de l’« idée fixe »), on admire le travail d’Eloi Huscenot au cor anglais au début et à la conclusion d’une « Scène aux champs » parcourue d’ombres et d’angoisses prémonitoires des deux derniers mouvements, où l’expressionnisme de Szeps‑Znaider fait le plus merveille. Les fanfares cuivrées et les contrebasses lancinantes de la « Marche au supplice », l’enchantement macabre du « Songe d’une nuit du Sabbat » final, la déformation cauchemardesque et stridente de l’« idée fixe », le tintement du glas et le Dies Iræ grinçant de la conclusion : la puissance d’évocation et les sortilèges justement célèbres de cette musique rutilent ici dans tout leur éclat grâce à l’engagement et à la maîtrise d’un chef et d’un orchestre qui achèvent sous des ovations méritées une très belle saison 2023‑2024.



François Anselmini

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com