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Pour les yeux Lyon Opéra 06/14/2024 - et 16, 18, 20, 22, 24 juin 2024 Leos Janácek : Věc Makropulos Ausrinė Stundytė (Emilia Marty), Denys Pivnitskyi (Albert Gregor), Paul Curievici (Vitek), Thandiswa Mpongwana (Krista), Tómas Tómasson (Jaroslav Prus), Robert Lewis (Janek), Károly Szemerédy (Maître Kolenaty), Marcel Beekman (Hauk‑Sendorf), Paolo Stupenengo (Un médecin)
Chœurs de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Alexander Joel (direction musicale)
Richard Brunel (mise en scène), Bruno de Lavenère (décors, costumes), Laurent Castaingt (lumières), Catherine Ailloud-Nicolas (dramaturgie)
A. Stundytė (© Jean‑Louis Fernandez)
L’Opéra de Lyon conclut sa saison en fêtant l’un des plus parfaits chefs d’oeuvre de Janáček, L’Affaire Makropoulos (1926), que les Lyonnais avaient pu découvrir sur scène lors du festival consacré au compositeur en 2005. Malgré un plateau vocal décevant pour les rôles principaux, nous y reviendrons, on se réjouit de découvrir une nouvelle mise en scène réussie de Richard Brunel (directeur de l’institution depuis 2021) : c’est là le principal temps fort de la soirée, tant son travail explore les méandres d’un livret complexe à démêler en début d’ouvrage, avec une volonté pédagogique bienvenue. On aime ainsi l’idée d’aborder le récit comme une enquête policière, où les nombreux noms évoqués dans la procédure juridique sont récapitulés sur un tableau noir. Le personnage d’Emilia Marty apparait d’emblée fragile en tant qu’artiste, Brunel cherchant à montrer combien la perte de la formule d’immortalité a des conséquences pratiques sur sa carrière de cantatrice, et pas uniquement sur son espérance de vie. L’autre idée forte est de montrer l’agitation de l’héroïne par une vitalité étourdissante des éléments scénographiques du plateau, comme des personnages, tandis que la multiplicité des saynètes en simultané donne à voir de nombreux non‑dits textuels. La fin est également très aboutie en mettant en avant le rôle mineur de Krista, qu’Emilia met en position d’héritière symbolique, comme garante de la transmission artistique entre les deux femmes. De quoi laisser un souvenir plus humain que le seul égoïsme habituellement attaché à la figure de l’héroïne.
Déjà à la peine vocalement dans le rôle-titre tout aussi redoutable du Miracle d’Héliane de Korngold en 2017 à Anvers), Ausrinė Stundytė déçoit en Emilia Marty à force d’approximations dans la puissance des aigus, peu justes. On se console avec des graves mieux maîtrisés et des qualités dramatiques de bonne tenue, mais on est loin de l’incarnation attendue, censée donner aux dernières scènes le frisson. L’autre grande déception de la soirée vient du chant en force et sans style de Denys Pivnitskyi (Albert Gregor), qui vient ternir toutes les scènes ambiguës avec sa mère, pourtant parmi les plus intéressantes de l’ouvrage. Fort heureusement, les seconds rôles donnent beaucoup de satisfactions, au premier rang desquels les solides et engagés Tómas Tómasson (Jaroslav Prus) et Thandiswa Mpongwana (Krista). Enfin, le chef germano-britannique Alexander Joel souffle le chaud et le froid en donnant beaucoup de volume et d’opulence à sa direction comme en technicolor, d’une vitalité certes excitante, mais qui manque de finesse dans les parties dramatiques.
Florent Coudeyrat
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