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Des « Visions » peu visionnaires

Paris
Centre Pompidou (Grande salle)
06/13/2024 -  
Fausto Romitelli : Amok Koma
Pasquale Corrado : Eterno Vuoto
Eva Reiter : Konter
Matteo Franceschini : Visions

Ljuba Bergamelli (soprano), Laura Muller (mezzo-soprano), Matteo Cesari (flûte)
Multilatérale, Léo Warynski (direction)
Manuel Poletti (électronique Ircam), Luca Bagnoli (diffusion sonore Ircam)


L. Warynski (© Manuel Braun)


« L’avènement d’une violence cachée qui se révèle seulement par la dérive chaotique du matériau, par le rituel de sa destruction comme élément discursif porteur de forme » : tel est l’objectif de Fausto Romitelli (1963‑2004) dans Amok Koma (2011), écrit pour neuf instruments et électronique. Le début a quelque chose de didactique avec cette boucle rythmique insistante marquée par les sonorités urbaines (synthétiseur et piano, grosse caisse, cymbales hit‑hat). La « dérive chaotique du matériau », auréolée d’une électronique de plus en plus imprévisible car non linéaire, aboutit à la coda pétrie de réminiscences, où l’appel luminaire résonne parmi un environnement déformant. Les membres de l’ensemble Multilatérale et le diligent Léo Warynski rendent justice à cette pièce qui écarte les saturations du triptyque Professor Bad Trip (1998‑2000) au bénéfice d’un environnement plus spectral.


La salle du Centre Pompidou a ceci de particulier qu’elle plonge l’assistance dans le noir complet tout le long du concert. Aussi n’avons‑nous pris connaissance des différents textes d’Eterno Vuoto (2024) qu’a posteriori : inspiré par la nouvelle de Borges La Bibliothèque de Babel, Pasquale Corrado (né en 1979) a regroupé divers textes liés aux thèmes de l’existence et de la connaissance signés d’Aristote, Platon, la Bible et Marc Aurèle. Ils structurent la forme en quatre « scènes » enchaînées. La vocalité, bien que placée sous les auspices de Berio – celui de Laborintus II (1965), entendu in situ lors du festival ManiFeste 2023 –, atomise le langage mais sans l’exubérance ni la maestria qui caractérisent l’art du compositeur de Sinfonia. Les mises à contribution de Ljuba Bergamelli et Laura Muller se concentrent sur des phénomènes timbriques que baignent les textures de l’électronique. N’étaient les résonances finales (piano, cloches tubulaires), les quatre scènes manquent singulièrement de contrastes, les textes de caractérisation.


Intercalé entre deux cycles vocaux, Konter (2009) revêt la tournure d’un interlude, mais c’est bien plus une épopée doublée d’un combat : celui d’un interprète (valeureux Matteo Cesari) aux prises avec l’un des instruments les plus démesuré jamais sortis d’un atelier (la flûte contrebasse) et en butte aux réactions de l’électronique. Au reste, Konter désigne, si l’on en croit la compositrice autrichienne Eva Reiter (née en 1976), « une contre-attaque rapide ». La densité d’informations et de modes de jeu requis (dont on a renoncé à établir la liste) assujettissent la pièce – structurée en sept séquences enchaînées – à une durée raisonnable (huit minutes).


Visions (2014) s’expose aux mêmes remarques qu’Eterno Vuoto, à ceci près que Matteo Franceschini (né en 1979) s’est concentré sur les poèmes du seul William Blake. Laura Muller débite le texte en tournant autour des mêmes notes. Les motifs tournoyants provoquent un phénomène de transe que renforce une électronique aux relents de boîte de nuit. C’est à nouveau la coda, moment de stase émaillé de très belles sonorités aiguës, qui nous a semblé le passage le plus inspiré de la partition que le professionnalisme de Léo Warynski et ses musiciens ne pourront toutefois hisser au‑delà de l’anecdote.



Jérémie Bigorie

 

 

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