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Au pays de la Mélodie Strasbourg Opéra national du Rhin 06/12/2024 - Mélodies de Gabriel Fauré, Louis Beydts, Benjamin Britten et Francis Poulenc Cyrille Dubois (ténor), Tristan Raës (piano) T. Raës, C. Dubois (© Jean‑Baptiste Millot)
Soirée entièrement chantée en français, et donc sans aucun surtitrage, ce que la très bonne clarté de diction de Cyrille Dubois ne fait presque jamais ressentir comme un manque. L’ambiance, plutôt surannée, s’éloigne du concert pour revenir à celle des cénacles cultivés pour lesquels la plupart de ces musiques ont été écrites, ce qui n’est pas du tout désagréable, même si l’amenuisement du champ nécessite un temps d’habituation. Cyrille Dubois commence ce récital avec Les Berceaux de Fauré, en attaquant d’une voix un peu timide, qui ne trouve pas tout de suite la bonne projection pour parvenir à remplir la salle de l’Opéra national du Rhin à Strasbourg. Et ensuite, adresser directement la parole au public pour quelques sympathiques phrases d’introduction avant chaque volet du récital, n’est pas non plus sans poser quelques problèmes, car ensuite la voix chantée paraît moins bien posée, doit retrouver ses repères, adaptation qui heureusement s’effectue assez vite.
Première partie Fauré, compositeur dont Cyrille Dubois s’est fait une spécialité puisqu’il a même enregistré récemment, chez Aparté, l’intégrale de ses mélodies, performance rare, toutes ces pièces n’ayant de loin pas toutes été écrites initialement pour une voix de ténor. Fauré préférait du reste plutôt une voix de baryton lorsqu’il composait des mélodies pour un interprète masculin, et on a tendance à lui donner raison en écoutant Cyrille Dubois, dont la voix s’épanouit et trouve ses appuis surtout dans l’aigu, ce qui surexpose certaines pièces. Le contraste, par rapport au piano discret et fluide de Tristan Raës, capable de considérables subtilités, en devient même parfois violent. Mais le pouvoir d’évocation poétique de cette musique reste tellement patent que même si certaines couleurs disparaissent, du fait d’une voix trop « blanche », un véritable charme continue à opérer. On note aussi qu’au moment des bis, la décontraction de la fin de concert aidant, la voix acquiert davantage d’aisance : Chanson d’amour, Le Secret, Après un rêve, et, pour prendre congé, un Adieu très intériorisé, sont les Fauré les plus aboutis de la soirée.
Les mélodies de Louis Beydts (1895‑1953) seraient presque toute inconnues aujourd’hui si Cyrille Dubois et Tristan Raës ne s’étaient pas passionnés récemment pour ce corpus relativement conséquent : une centaine de mélodies, d’un appréciable raffinement d’écriture, même si l’on n’y trouve pas non plus l’expression d’un tempérament artistique vraiment personnel. Publié il y a quelques mois chez Aparté, leur disque Beydts, qui collige en tout trente‑six pièces, mérite qu’on prenne le temps d’en savourer le charme discret. Et si ce soir Cyrille Dubois ne se risque pas à l’exercice de voltige des Chansons pour les oiseaux (dont il a toutefois osé les excursions suraiguës au disque, alors qu’elles paraissent quand même essentiellement destinées à un soprano léger, comme Sabine Devieilhe, qui les avait chantées ici même il y a trois ans), il détaille ici les Six Ballades françaises, sur des poèmes de Paul Fort, avec beaucoup de tendresse et d’humour.
Britten ensuite, mais un Britten qui a composé, au sein d’une vaste anthologie de mélodies populaires arrangées pour voix et piano, ou parfois guitare, huit pièces sur des textes français. D’excellents ingrédients d’appoint pour un récital, que ces approches très variées d’un terroir populaire où une vraie drôlerie (« Quand j’étais chez mon père, apprenti pastouriau ») peut voisiner avec des moments d’une grande poésie, dont la sublime douceur de « Il est quelqu’un sur terre », valorisée par un accompagnement idéalement nuancé.
Concert donné sans entracte, avec pour conclure des Banalités de Poulenc où Cyrille Dubois sait aussi se faire, discrètement, mais sûrement, comédien. « Hôtel », moment jouissif de paresse avouée, est particulièrement réussi. Quant aux deux Chansons gaillardes, « La Belle Jeunesse » et « Couplets bachiques », elles sont prises à un train d’enfer, mais bouclées par le pianiste et le soliste sans jamais perdre leur cohésion.
Laurent Barthel
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