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L’esprit d’Offenbach Lille Opéra 06/04/2024 - et 6, 9*, 11, 13, 15, 17 juin 2024 Johann Strauss II : La Chauve-Souris Guillaume Andrieux (Gaillardin), Camille Schnoor (Caroline), Marie‑Eve Munger (Adèle), Christophe Gay (Duparquet), Raphaël Brémard (Bidard), Franck Leguérinel (Tourillon), Héloïse Mas (Prince Orlofsky), Julien Dran (Alfred), Eddy Letexier (Léopold), Claire Antoine (Ida)
Chœur de l’Opéra de Lille, Mathieu Romano (chef de chœur), Orchestre de Picardie, Johanna Malangré (direction)
Laurent Pelly (mise en scène), Chantal Thomas (scénographie), Michel Le Borgne (lumières), Elsa Bourdin (costumes)
(© Simon Gosselin)
Avec cette nouvelle production de La Chauve-Souris (1874), l’Opéra de Lille retourne à la source du livret de l’opérette de Strauss. Carl Haffner et Richard Genée se sont en effet fondés sur une comédie d’Henri Meilhac et de Ludovic Halévy, Le Réveillon. Agathe Mélinand a ainsi adapté le livret en français, en reprenant le texte et le nom des personnages originaux, avec la contribution de Moshe Leiser et de Patrice Caurier pour les textes chantés. L’histoire se déroule donc à Pincornet-les-Bœufs, et si le prince russe s’appelle encore Orlofsky et la servante toujours Adèle, plusieurs autres changent de nom, Gaillardin à la place de Gabriel, Caroline au lieu de Rosalinda. Le notaire répond au patronyme de Duparquet, l’avocat à celui de Bidard, le directeur de la prison s’appelle Tourillon, son geôlier Léopold. La sœur d’Adèle reste toutefois Ida et Alfred conserve son prénom.
Cette adaptation, en particulier ce changement de langue, confère à cette œuvre au parfum si viennois dans la langue allemande une dimension inévitablement offenbachienne, bien que la musique demeure la même. La représentation ne manque pas donc de surprendre et de désarçonner. Elle suscite une impression d’étrangeté, teintée de frustration : celle de n’avoir pas réellement vu et surtout entendu La Chauve‑Souris. Les dialogues fonctionnent toutefois bien, sans volonté d’actualisation, et épousent naturellement le flux musical. Mais cette production montre à quel point la langue dans laquelle un opéra est chanté contribue fortement à son identité. Heureusement, les opéras de Janácek ne proviennent pas d’œuvres en français : cela donnerait des idées à certains. Mais s’agit‑il seulement d’une question de langue ? Dans une version de concert l’année passée à l’Opéra des Flandres, Tom Goossens parvenait, en ajoutant du texte en néerlandais, à rendre les dialogues bien plus épicés et savoureux, pour un résultat réjouissant.
En dépit d’une approche de cette opérette plutôt convenue, voire caricaturale, la direction d’acteur assez incisive de Laurent Pelly se hisse à un haut niveau, une qualité de ce metteur en scène, que ce soit pour les solistes et pour les choristes, au potentiel bien exploité. Tout le monde paraît crédible, personne ne peine à s’imposer. Quant à la scénographie, décor et costumes confondus, elle crée, grâce à de belles lumières, un environnement joliment graphique, comme si les personnages se détachaient d’un livre d’images ou d’un dessin animé. Le spectacle, visuellement assez plaisant, porte incontestablement la signature de Laurent Pelly, lui qui a mis en scène, avec le même solide et inventif métier, un désopilant Roi Carotte.
Malgré le choix discutable de cette adaptation en français, la mise en scène excelle donc à animer avec verve et esprit la mécanique précise de cette œuvre complexe à réussir, même si la mise en scène égratigne encore trop gentiment la bourgeoisie du dix‑neuvième siècle, ce dont Offenbach ne se privait pas. Le tout se termine, sans surprise, dans la bonne humeur, avec une fête débridée. Pour clore cette saison-anniversaire, voici un vrai divertissement, plus burlesque que caustique, mais rien de plus que cela.
L’Opéra de Lille a réuni une solide distribution sur le plan vocal, mais pas seulement. L’esprit de troupe domine sur les performances individuelles, avec au moins un point commun à tous les interprètes : un engagement théâtral juste et intense, bien dans l’esprit, d’un côté, du vaudeville, de l’autre, de l’opérette. Plusieurs chanteurs endossent des personnages qui correspondent parfaitement à leur profil et à leur nature, comme Guillaume Andrieux en Gaillardin et Franck Leguérinel en Tourillon. Marie‑Eve Munger affiche beaucoup de maîtrise et d’aisance dans l’exigeant rôle d’Adèle, tandis que Camille Schnoor excelle à rendre le personnage de Caroline dans toute son horripilante classe aristocratique. Nous retenons aussi le numéro de travestissement réussi d’Héloïse Mas en Orlofsky, la ligne vocale racée et distinguée de Julien Dran en Alfred ainsi que l’excellent jeu d’acteur d’Eddy Letexier en Léopold – selon nous, le meilleur sur ce point. Christophe Gay, Raphaël Brémard, et même Claire Antoine dans l’assez petit rôle d’Ida, ne déméritent pas non plus, se glissant avec talent et conviction dans cette distribution compétente et homogène. Et applaudissons aussi les choristes, impeccables.
Cheffe titulaire de l’Orchestre de Picardie depuis septembre 2022, Johanna Malangré délivre, à la tête de cette formation des Hauts‑de‑France, une exécution de grande qualité, avec suffisamment de précision et d’effervescence, de raffinement et de vitalité. Les musiciens, assez remarquables dans les interventions en solo, en particulier les bois, affichent ce qu’il faut de tenue et de souplesse pour répondre aux attentes dans cette savoureuse partition. Aucun doute : la cheffe et l’orchestre excelleraient dans Offenbach.
Sébastien Foucart
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