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Un Nabucco visuellement spectaculaire

Lausanne
Opéra
06/02/2024 -  et 5*, 7, 9, 14 juin 2024
Giuseppe Verdi : Nabucco
Gabriele Viviani (Nabucco), Irina Moreva (Abigaille), Airam Hernández (Ismaele), Nicolas Courjal (Zaccaria), Marie Karall (Fenena), Adrien Djouadou (Il Gran Sacerdote), Maxence Billiemaz (Abdallo), Nuada Le Drève (Anna)
Chœur de l’Opéra de Lausanne, Patrick Marie Aubert (préparation), Orchestre de Chambre de Lausanne, John Fiore (direction musicale)
Stefano Poda (mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie), Paolo Giani Cei (assistant du metteur en scène)


(© Jean-Guy Python)


Une page se tourne à l’Opéra de Lausanne : entré en fonction en septembre 2005, Eric Vigié va quitter la direction de l’institution à la fin du mois, après vingt ans à ce poste, un record. Pendant deux décennies, il aura marqué la vie lyrique lausannoise de son empreinte, notamment en multipliant les collaborations avec les autres institutions de la région, en favorisant l’éclosion de la relève vocale et en repérant les jeunes talents, en organisant cinq saisons hors-les-murs pour cause de travaux de rénovation et en affrontant la pandémie de covid. Si son caractère bien trempé a pu parfois faire quelques étincelles à l’intérieur de l’Opéra, il laissera, pour le grand public, l’image d’un passionné des voix qui aura eu l’immense mérite de réussir à aligner des distributions intéressantes dans des productions de facture plutôt classique, sans jamais chercher à faire le buzz.


Pour son dernier spectacle à Lausanne, Eric Vigié a programmé Nabucco, en en confiant la mise en scène à Stefano Poda. Tout un symbole, car l’artiste italien aura marqué comme nul autre la seconde moitié du mandat du directeur sortant. Stefano Poda est pratiquement un inconnu lorsqu’il est invité pour la première fois à Lausanne pour monter coup sur coup Ariodante et Faust au cours de la saison 2015‑2016. Depuis, il s’est fait connaître un peu partout dans le monde lyrique. On se souvient notamment qu’il a conçu l’année dernière une production grandiose d’Aïda aux Arènes de Vérone. A Lausanne, Stefano Poda a aussi mis en scène Lucia di Lammermoor, Les Contes d’Hoffmann, Alcina et Norma. Nabucco est ainsi son septième opéra à Lausanne. Véritable homme à tout faire, le metteur en scène signe lui‑même également les décors, les costumes, les lumières et les chorégraphies de ses spectacles, avec l’aide de son fidèle assistant, Paolo Giani Cei.


Comme il en a désormais l’habitude – la « patte » Poda se reconnaît facilement – Stefano Poda a conçu, pour ce Nabucco lausannois, une production visuellement spectaculaire, très esthétique, voire esthétisante, un véritable régal pour les yeux. Une production abstraite et intemporelle aussi, qui joue beaucoup sur les symboles. Le metteur en scène tire ainsi parti de l’opposition entre les Hébreux et les Babyloniens, qu’il traduit dans les couleurs des costumes (blancs pour les premiers, rouges pour les seconds) mais aussi des immenses parois à l’intérieur desquelles se joue l’intrigue, les blanches montant dans les cintres pour laisser descendre les rouges. Au début du spectacle, un énorme pendule de Foucault se balance entre les deux parois, puis ce sera au tour d’une immense mappemonde. On verra aussi descendre un gigantesque cylindre transparent qui va encercler les Hébreux puis Nabucco. Seul bémol : l’aspect visuel prend ici une telle place que la caractérisation des personnages est malheureusement réduite à la portion congrue. Ainsi, rien ne semble distinguer le Nabucco du début, tyran assoiffé de pouvoir et imbu de sa personne, de celui de la seconde partie de l’ouvrage, fragile et émouvant, au repentir sincère.


Même s’il serait dommage de réduire la partition de Verdi à un seul passage, Nabucco est synonyme, pour la majorité des spectateurs, du célébrissime chœur des Hébreux (« Va pensiero »). Le Chœur de l’Opéra de Lausanne s’acquitte de sa tâche avec les honneurs, offrant une prestation confondante de puissance, d’homogénéité entre les registres et de précision. Le plateau vocal est emmené par Gabriele Viviani, Nabucco particulièrement engagé et expressif, avec un beau legato, même si on ne sent pas chez lui la fêlure et la fragilité qui vont le pousser à se convertir, mais peut‑être n’a‑t‑il pas été aidé par la mise en scène. Rôle parmi les plus meurtriers de tout le répertoire lyrique, Abigaille est défendue avec vaillance par Irina Moreva, quand bien même les aigus sont davantage criés que chantés et les vocalises pas toujours bien assurées, mais qui peut aujourd’hui surmonter des sauts d’octave aussi périlleux ? En Fenena, Marie Karall déploie un chant puissant, d’une grande expressivité. Airam Hernández est un Ismaele ardent, aux aigus vibrants. Le Zaccaria de Nicolas Courjal laisse une impression mitigée, en raison d’un vibrato désormais bien présent. A la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, John Fiore donne une interprétation vive et dynamique de la partition de Verdi, sans aucun temps mort.


Ce Nabucco visuellement spectaculaire permet à Eric Vigié de tirer sa révérence avec panache. Le flambeau sera repris en septembre par Claude Cortese, avec une nouvelle production de Guillaume Tell, encore jamais représenté à l’Opéra de Lausanne.



Claudio Poloni

 

 

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