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Les spécialités du chef

München
Isarphilharmonie
05/30/2024 -  et 31* mai, 1er juin 2024
Joseph Haydn : Te Deum en ut majeur, Hob. XXIIIc:2
Franz Schubert : Messe n° 2 en sol majeur, D. 167
Richard Strauss : Aus Italien, opus 16

Siobhan Stagg (soprano), Julian Prégardien (ténor), Vito Priante (baryton-basse)
Chor des Bayerischen Rundfunks, Peter Dijkstra (chef de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Riccardo Muti (direction)


R. Muti (© Severin Vogl)


Riccardo Muti a ses partitions fétiches. Il n’est pas le seul dans ce cas, parmi les grands chefs en exercice, mais chez lui il s’agit vraiment d’un attachement particulier à certaines œuvres, qu’il est quasiment le seul à défendre avec autant de régularité. Qui d’autre par exemple, s’attache aussi souvent à mettre au programme de ses concerts In the South (Alassio) d’Edward Elgar, ou encore, comme ce soir, Aus Italien de Richard Strauss ?


Dans ces deux cas il s’agit d’évocations symphoniques de paysages italiens, donc une forme de coquetterie nationale, peut‑être, mais pas seulement. Car Aus Italien est vraiment une découverte à faire, bien que l’on considère parfois cet essai de jeunesse avec une certaine condescendance. En 1886, Richard Strauss, qui n’a alors que 21 ans, passe cinq semaines en Italie, et collige ses diverses impressions de voyage en ce qui ressemble à une symphonie en quatre mouvements (sous le titre exact de Symphonische Fantasie). Et si tout n’y est effectivement pas du meilleur niveau, en particulier un deuxième mouvement, intitulé « Ruines romaines », dont les allures de scherzo bondissant post-mendelssohnien paraissent peu compatibles avec la majesté présumée du propos, en revanche l’exposition, « Dans la campagne », est joliment évocatrice des paysages de la région du Latium au soleil couchant, avec notamment son majestueux second thème, très mélodique, aux violons et violoncelles. On n’oubliera pas non plus les sortilèges d’orchestration de « Sur la plage de Sorrente », où Strauss révèle déjà tout son potentiel d’inventeur d’alliages de timbres, ni l’exubérance finale de « Vie populaire à Naples », qui recycle au passage un Funiculì-funiculà bien reconnaissable, puis une tourbillonnante tarentelle. Un mouvement très intéressant, d’une agitation turbulente où l’on retrouve pleinement le musicien fantasque de la Burleske pour piano et orchestre, composée la même année. Un jeune homme d’ailleurs un peu étourdi, qui avait pris Funiculì-funiculà pour une authentique chanson folklorique napolitaine. Luigi Denza, l’auteur de cette scie, et compositeur par ailleurs on ne peut plus sérieux, lui intenta ultérieurement un procès afin d’obtenir des tantièmes sur les droits d’exécution d’Aus Italien, procédure qu’évidemment il gagna ! Autre anecdote : Aus Italien et la Burleske ont été dédiés au même Hans von Bülow, à chaque fois très embarrassé du cadeau, et qui refusera aussi poliment de diriger l’une que de jouer l’autre.


On se réjouissait de pouvoir écouter un ouvrage d’une telle rareté, interprété de surcroît par l’une des meilleures formations européennes. Cela dit, si Muti connaît cette partition comme sa poche, en revanche, pour un orchestre qui ne la joue pas souvent (pour la première fois en 1984 seulement, et on vous laisse deviner qui dirigeait !), la tâche paraît tout sauf aisée. En particulier dans le premier mouvement, les problèmes de mise en place des plans sonores restent relativement nombreux, et la trame même sonne moins luxueusement précise que d’habitude. Cela dit, on a affaire à des musiciens d’un tel niveau que la proposition, même un peu négligée ici ou là, reste brillante. Quant à Riccardo Muti, il a une telle habitude de la partition qu’il peut veiller surtout à guider l’orchestre par une battue très précise dans tous les passages dangereux, en laissant davantage le reste à l’improvisation, voire aux petits aléas, du moment. En tout cas une lecture étincelante et brillante, qui relance constamment l’intérêt, jusqu’au tourbillon final et son point d’orgue, qui arrête la progression net un court moment, avant les trois accords conclusifs, suivis de la jubilation immédiate d’une salle manifestement conquise.


Première partie chorale, avec encore une œuvre fétiche de Riccardo Muti, la très jolie Deuxième Messe écrite pour sa paroisse par un Schubert de 18 ans. Format intime, chœur et trois solistes, soprano, ténor, basse, accompagnés par les seules cordes, les deux trompettes et timbales, présents ce soir, n’ayant été rajoutés par Schubert que secondairement. La partie de soprano a été écrite pour le tout premier amour de Schubert, Therese Grob, joli soprano qui préféra cependant épouser en 1820 un boulanger, apparemment un bien meilleur parti. On reste vraiment ici dans une forme pure de classicisme autrichien, une Missa brevis, où le génie mélodique de Schubert infléchit pourtant déjà le discours avec un charme très particulier. Et Riccardo Muti peut compter sur le miraculeux Chœur de la Radio bavaroise (près de soixante personnes mais qui savent s’adapter au bon format, avec une homogénéité et une pureté d’intonation parfaits) et sur des cordes dont il a fait travailler les phrasés et les respirations avec une subtilité qui nous touche infiniment. Dommage simplement que la soprano australienne Siobhan Stagg paraisse trop réservée, avec un timbre un peu serré, qui nuit au climat du ravissant Benedictus. Julian Prégardien et Vito Priante ont moins à faire mais sont plus en voix. En tout cas l’interprétation de cette messe toute en lumières douces et en demi‑teintes paraît mieux équilibrée que celle du Te Deum de Haydn qui ouvre le concert. Une pièce d’allure solennelle, en fait de la même eau que les grand‑messes du compositeur de La Création, et qui ici paraît un rien lourde, paradoxalement dominée à l’excès par l’effectif choral, alors que les timbres orchestraux pourraient ressortir davantage. Là, on est surtout convaincu par la partie médiane, plus posée, un « Te ergo quaesumus » en ut mineur, d’une plénitude chorale totalement grisante.



Laurent Barthel

 

 

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