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Une délicatesse de phrasé à se damner Orléans Beaugency (Eglise Notre-Dame) 06/01/2024 - Georg Friedrich Händel : Suite n° 1 en si bémol majeur, HWV 434
Henry Purcell : Ground en si bémol majeur, ZD 221
George Muffat : Apparatus musico-organisticus : Passacaille en sol mineur
Frédéric Chopin : Andante spianato et Grande Polonaise brillante, opus 22
Johann Sebastian Bach : Concerto pour orgue solo en la mineur d’après Vivaldi, BWV 593 (arrangement Samuel Feinberg)
Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate pour piano n° 14 en ut mineur, K. 457
Richard Wagner : Tannhäuser : Ouverture (arrangement Franz Liszt, S. 442) Alexander Malofeev (piano)
A. Malofeev (© Liudmila Malofeeva)
Créé en 1973, le Festival de musique de Sully et du Loiret a élargi peu à peu sa programmation au‑delà du seul répertoire classique, tout en rayonnant sur l’ensemble du département, lorsque ce dernier a repris sa gestion en 2007. Ce changement d’orientation permet chaque année de découvrir d’autres villes de caractère que Sully, comme la charmante cité médiévale de Beaugency (7 500 habitants), située à quelque vingt minutes à l’ouest d’Orléans. Bien qu’ayant souffert des guerres de religion, le centre historique conserve un patrimoine exceptionnel, qui lui a fait mériter le label de l’association « Les plus beaux détours de France ».
Le récital est donné en l’ancienne église abbatiale Notre‑Dame, à deux pas de l’impressionnant donjon de 36 mètres de haut : les monuments ont tous deux été construits à la même époque, au XIe siècle. L’intérieur très vaste de l’église réserve une surprise au niveau du chœur, avec un baptistère admirablement mis en valeur par la qualité des éclairages, très élaborés pour l’occasion. C’est dans ce cadre qu’Alexander Malofeev (né en 2001) se saisit du piano Yamaha mis à sa disposition, dans une excellente acoustique, étonnamment peu réverbérée pour une église. D’emblée, l’ancien jeune prodige (voir notamment l’un de ses premiers concerts en France, à Paris en 2016) fait l’étalage de toute sa classe sans ostentation, dans le répertoire baroque, Händel et Purcell. Les phrasés s’épanouissent sereinement, comme coulant de source, autour d’effets de chevauchement assez fascinants dans leur enchevêtrement. Les tempi sont assez enlevés, évitant tout pathos et insistant davantage sur la souplesse féline que la rythmique, aux angles lissés dans cette optique interprétative. Malofeev se régale des ruptures de registre entre forte et piano, d’une maîtrise inouïe de précision : on se laisse ainsi bercer par les infinies nuances distillées tout du long, sans jamais verser dans le maniérisme. C’est là un art tout en délicatesse et en intériorité, qui se rapproche plusieurs fois de la manière de l’un de ses grands aînés, Mikhaïl Pletnev.
Après l’entracte, Malofeev déploie une manière plus virile dans les oppositions architecturées du Concerto pour orgue en la mineur de Bach, arrangé par Samuel Feinberg. Le mouvement lent dépouillé est une nouvelle réussite en matière d’exploration des détails, tout en toucher subtil. Cette manière où le piano est parfois à peine effleuré s’épanouit ensuite à merveille dans Mozart, que Malofeev éclaire de ses tempi endiablés, sans négliger le discours d’ensemble. L’Adagio lunaire tutoie les cimes par ses phrasés distendus, donnant une modernité inattendue à ce bref mouvement. Le changement d’atmosphère n’est que plus radical ensuite avec l’adaptation de l’Ouverture de Tannhäuser, où l’on reconnaît plusieurs fois la manière de Liszt pour transcrire Wagner, son cadet de seulement deux ans. Si Malofeev évite toute pompe, il réussit davantage les parties crépusculaires et nostalgiques que l’emphase contrapuntique (un rien trop déliée). Retour à la délicatesse pour les deux bis, dont une « Danse de la fée Dragée », tirée du Casse‑Noisette de Tchaïkovski, pour conclure délicieusement ce récital, à juste titre très applaudi.
Florent Coudeyrat
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