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Quand les voix font rêver

Baden-Baden
Festspielhaus
05/04/2024 -  et 29 avril 2024 (Milano)
Ouvertures, airs et duos de Verdi, Donizetti, Gounod, Bizet, Massenet et Puccini
Lisette Oropesa (soprano), Benjamin Bernheim (ténor)
Orchestra dell’Accademia Teatro alla Scala, Marco Armiliato (direction)


B. Bernheim, L.  Oropesa, M. Armiliato (© Steven Harris)


Encore la sempiternelle Ouverture de La Force du destin pour ouvrir un gala lyrique ? Heureusement le sentiment de saturation qui nous guette se dissipe vite, car les musiciens de ce soir ont vraiment quelque chose d’intéressant à partager. Un Orchestre de l’Accademia Teatro alla Scala composé exclusivement de jeunes musiciens en fin de cursus de formation, d’un niveau technique irréprochable et surtout d’un enthousiasme qui restitue à cette musique éculée tout l’éclat du neuf. Sous la baguette experte de Marco Armiliato, qui n’a plus qu’à mener l’affaire tambour battant, avec une décontraction souriante qui ne l’empêche pas de tenir fermement les rênes, on passe un très bon moment. De même que la plus rare et très belle Ouverture d’I masnadieri nous maintient constamment en haleine, avec au centre un superbe solo de violoncelle, tenu par le jeune Andrea Cavalazzi.


Quant aux deux voix qui vont se partager la soirée, avoir eu l’idée de les assortir est un coup de maître. Des chanteurs exceptionnels, qui atteignent à présent la maturité d’une jeune quarantaine où leur sûreté technique intacte se double d’une musicalité et d’une expérience de la scène qui font mouche à chaque réplique. Joli soprano lyrique, dont l’accès facile au suraigu n’a jamais été synonyme de minceur du timbre, Lisette Oropesa, née en 1983, nous a systématiquement convaincu dans tous les répertoires où on a pu l’écouter, et ce soir, souriante, aérienne de démarche et habillée à ravir, tantôt en blanc, tantôt en rouge, elle met le public dans sa poche en un tournemain. Moins attentif à son apparence, son déprimant costume anthracite sur chemise blanche lui donnant au mieux l’allure d’un chargé d’affaires de banque privée qui aurait oublié de mettre sa cravate, Benjamin Bernheim, né en 1985, est lui aussi un modèle de musicalité et de de maîtrise technique, comme on n’en croise vraiment pas tous les jours. Pouvoir chanter, au cours de la même soirée, un « Recondita armonia » de Tosca impeccable de ligne mais d’un éclat non moins solaire, et un « Je crois entendre encore » des Pêcheurs de perles constamment piano, jusque dans le suraigu, sur le souffle, est même une performance dont peu de ténors se sont avérés historiquement capables, du moins à ce degré de perfection. Cela dit, un petit relookage ne serait quand même pas de trop, en vue d’optimiser une élégance vestimentaire que même un Alfredo Kraus naguère, qui aurait pu pourtant lui aussi se contenter de miser sur la même suprême distinction vocale, se gardait bien de dédaigner en pareille circonstance.


Pour ses trois apparitions seule, Lisette Oropesa n’a pas lésiné sur les difficultés. En regard du redoutable « Tu del mio Carlo al seno » extrait d’I masnadieri, que l’on n’entend que très rarement, et pour cause, tant sa ligne à la fois escarpée et corsée requiert un tempérament de tout premier plan, l’Air des bijoux de Faust prend presque des allures de promenade de santé. Si, dans le second, une certaine routine peut affleurer, en revanche dans le premier, on reste captivé par l’écoute de bout en bout. Extraordinaire aventure aussi que l’air d’Isabelle, « Robert, toi que j’aime » du Robert le Diable de Meyerbeer. Une musique que l’on s’obstine personnellement à considérer comme congénitalement passe‑partout et empruntée, mais qui, tout à coup, s’envole vers la stratosphère. Inutile de préciser que quand l’infaillibilité technique n’y est pas, le risque d’écrasement au décollage peut s’avérer fatal. Meyerbeer est une affaire vétilleuse, immensément gratifiante parfois, mais qui ne tolère pas la médiocrité. Or ici, quel enchantement !


Pour ce qui est des duos, la soirée chemine, bras dessus bras dessous, au long d’un très joli programme amoureux, série d’offensives de séduction pour jeunes premiers, incarnée scéniquement avec beaucoup de complicité et de naturel. On fond devant « Ange adorable » du Roméo et Juliette de Gounod, mais les étincelles de « Caro elisir! sei mio! » de L’Elixir d’amour de Donizetti, ne sont pas non plus à négliger, alliant à ravir piquant et perfection belcantiste. On notera que pour la circonstance, Benjamin Bernheim arrive sur scène nanti d’une bouteille de présumé Bordeaux grand cru, accessoire très français dont malheureusement, placé trop loin, on n’a pas pu déchiffrer l’étiquette. Et puis, avec Rigoletto (le duo « Signor né principe », suivi des fusées d’« Addio, addio », lesquelles seront d’ailleurs reprises en guise d’ultime bis en fin de soirée), et plus encore Manon (« Ah ! Fuyez douce image », suivi d’un duo où Lisette Oropesa déploie ses plus intenses trésors de séduction), on est vraiment dans le cœur de cible : un répertoire que ces deux‑là dominent encore à la perfection, en attendant sans doute, d’ici peu d’années maintenant, de passer à autre chose.


Autre chose, justement. En bis, le duetto qui termine l’acte I de La Bohème. Chez les deux davantage de fragrances, quelque chose de plus corsé, mais toujours la même délicieuse entente mutuelle, et puis, quand même, le luxe de terminer sur un double aigu parfaitement piano, crânement assumé face au public, et non pas hors scène. Les galas lyriques, genre abordé en général avec un mélange d’excitation et d’appréhension, ne tiennent pas toujours leurs promesses. Mais celui‑ci nous charme au‑delà de toute attente, et on en sort comblé.



Laurent Barthel

 

 

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