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Tosca alienata

Dijon
Auditorium
05/12/2024 -  et 14, 16, 18* mai 2024
Giacomo Puccini : Tosca
Monica Zanettin (Floria Tosca), Jean-François Borras (Mario Cavaradossi), Dario Solari (Scarpia), Sulkhan Jaiani (Angelotti), Grégoire Mour (Spoletta), Marc Barrard (Il Sagrestano), Yuri Kissin (Sciarrone), Jonas Yajure (Un carceriere), Laure Descamps, Alexandre Grekoff, Abel Acosta Villa (comédiens)
Chœur de l’Opéra de Dijon, Anass Ismat (chef de chœur), Maîtrise de Dijon, Etienne Meyer (chef de chœur), Orchestre Dijon Bourgogne, Debora Waldman (direction musicale)
Dominique Pitoiset (mise en scène), Edoardo Sanchi (scénographie), Christophe Pitoiset (lumières), Nadia Fabrizio (costumes)


M. Zanettin (© Mirco Magliocca)


Wait and see


De nos jours, il faut s’habituer, en tant que spectateur, à attendre un peu, voire beaucoup, avant de profiter des délices de la musique, dans une représentation d’opéra. Tiago Rodrigues à Nancy et Lille nous a infligé presque quinze minutes de pancartes pseudo-explicatives avant les premiers accords de Tristan et Isolde ; à Dijon, Dominique Pitoiset nous gratifie d’un discours enregistré et d’une pantomime de près de sept minutes en introduction à sa vision de Tosca. Sur une scène ouverte aux murs tendus de rideaux noirs d’abord relevés, laissant voir les coulisses, où trône un long tas de chaises, les chanteurs entrent un à un, ne semblant pas tellement savoir ce qu’ils font là, se saluant benoîtement, regardant des petits papiers qu’ils tiennent en main, apparemment des invitations, et une voix off remercie ces hommes d’être là, comme dans un film typique de l’époque de la guerre froide, leur expliquant qu’ils ont été choisis parce que, par le passé, ils ont partagé le devant de la scène avec son épouse, diva aujourd’hui atteinte d’une psychose hallucinatoire. Leur présence va servir à tenter de stimuler chez elle des souvenirs grâce à l’art, mais ils doivent faire attention au fait qu’elle croira qu’ils agissent dans la réalité, alors que ce sera pour eux une « séance » chez le psychiatre, de sorte qu’il importe que la représentation aille à son terme (ce qui nous arrange bien, convenons‑en). Quand entrent des choristes en soutane qui enlèvent toutes les chaises et les placent autour de la scène, la diva arrive du fond de scène, avec manteau blanc cassé à col fourré, lunettes noires et bouquet de fleurs obligé, soutenue par une aide blonde, ensuite Scarpia rejoint Tosca assise sur un banc d’église au centre de la scène et lui donne une petite clé dorée qui est peut-être celle de la chapelle des Attavanti où va se cacher Angelotti dans l’église Sant’Andrea della Valle au premier acte (à moins que ce ne soit la clé des songes...) et le chef de la police romaine donne par un geste à la cheffe d’orchestre l’instruction de commencer la représentation, où les rideaux noirs seront baissés.


Le sabre ou le goupillon ?


L’aide blonde se révélera être l’Attavanti elle-même, si ce n’est l’incarnation de Marie‑Madeleine, qui sans cesse va soutenir Floria, la réconforter, dans une solidarité féminine qui est sans doute celle des victimes d’abus sexuels. La métaphore est filée, dans la mesure où durant le Te Deum à la fin du premier acte, un évêque atteint de Parkinson entre, depuis un confessionnal en fond de scène, avec une petite fille qui représente Floria enfant, se prosterne devant elle, puis tombe de dos au milieu de la scène, et l’enfant s’assoit sur son corps en symbole de victoire, enfin Scarpia la prend dans ses bras.


L’acte II pourtant, à part la présence muette de l’Attavanti, ne retient plus grand‑chose du concept, jusqu’à la mort du bourreau : on se retrouve dans le bureau de Scarpia au palais Farnèse, avec un mobilier réduit à moins que le minimum (Scarpia devra rédiger le sauf‑conduit sur le petit portant qui reçoit son veston, un canapé au centre qui remplace le banc d’église et une desserte au fond étant les seuls éléments de scénographie). Scarpia propose de toucher la main de Floria en lui offrant de l’eau bénite alors qu’ils se trouvent à cinq mètres l’un de l’autre, et son meurtre va s’accomplir à distance aussi (distance psychanalytique probablement), Floria de face à jardin, Scarpia de face à cour. Puis Sciarrone et Spoletta lui volent ses chaussures et sa montre (on ne voit pas bien pourquoi) et l’Attavanti ramasse le couteau et récupère le sauf‑conduit, tandis que la petite fille allume des cierges sur la desserte, et s’enfuit.


Au début du troisième acte, un prêtre fait semblant de jouer au piano la musique qui accompagne l’air du pâtre chanté par la petite fille, sous l’œil d’un cardinal, tandis que l’Attavanti nettoie en vain le sang de Scarpia au sol, tout cela avec une projection de lumière pourpre sur les rideaux noirs. Tosca accompagne la fillette, et le cardinal l’embrasse sur le front, il lui donne la main et sort avec elle, tandis que Floria s’assoit au piano, symbole de sa carrière lyrique. Cavaradossi entre alors avec un bouquet de fleurs, en costume noir, comme pour un enterrement (celui de Tosca en avance, ou celui de Scarpia, dont on apercevra à la fin du troisième acte le cercueil dans le fond avec des prêtres en noir et ses sbires, Pitoiset raccrochant cela au texte de façon assez bancale, avec la phrase de Mario « Je laisse au monde une personne chère », de la même manière qu’il rattachait la folie de Tosca au premier acte au mot de Mario « Follia ! », quand Floria fait sa crise de jalousie au sujet des yeux de la Madone peinte – c’est bien léger). Après la mort de Scarpia, quand Mario retrouve Floria, la petite fille à son tour tente de nettoyer la flaque de sang du baron, puis vient caresser la tête de Floria mourante qui s’est jetée non pas du parapet du Castel Sant’Angelo mais seulement à terre, quand Mario ne se relève pas après la fausse exécution simulée (on aura vu l’attente sur le visage de Floria, face au public comme quatrième mur). Ce faisant, la mise en abyme s’est totalement étiolée : Floria meurt‑elle, la thérapie a-t-elle fonctionné ? On n’en saura rien.


En analyse/In treatment


Depuis Lev Dodin au moins et sa mise en scène de La Dame de pique de Tchaïkovski à Paris en 1999, qui se déroulait dans un hôpital psychiatrique, le procédé consistant à mettre en scène les traumatismes psychiques d’un personnage torturé qui revit en rêve son existence et ses affres a été vu et revu, parfois pertinent, souvent assez vide de sens. Raccrocher l’histoire de Tosca à la thématique très actuelle des violences faites aux femmes relève de l’évidence, nul besoin n’était de recourir à des violences sexuelles perpétrées par des ecclésiastiques pour cela, Scarpia suffisait amplement. Et justement, si on gagne peu à l’ajout de ces prêtres en soutane et de ces pontes de l’Eglise, on perd finalement l’essentiel, c’est-à-dire les enjeux du pouvoir policier et politique et les abus du potentat, réduits à un canapé où Floria est forcée de s’asseoir, serrée entre Spoletta et Sciarrone d’un côté, et Scarpia de l’autre – ce qui est presque comique. Toute la force dramatique du duel Floria/Scarpia, terrible jeu du chat et de la souris, s’évapore dans la distance qui est mise entre les personnages. Si l’on est plutôt ravi de voir un Scarpia délesté de toute vulgarité ou presque (quoiqu’il nous semble bien inutile de le priver de son veston au deuxième acte, puisqu’au contraire, il devrait rester corseté jusqu’au dernier moment, pour ne rien dire du peignoir qu’on lui fait revêtir au moment de consommer l’acte extorqué à Floria...) et vraiment pétri d’élégance, on reste frustré par le manque d’impact théâtral de sa relation avec sa proie la cantatrice. Pitoiset nous raconte une autre histoire, parasite, et nous fait perdre le drame.


Décousu main


Dans une scénographie aussi dépouillée, signée Edoardo Sanchi, la direction d’acteurs est primordiale, et peut compenser certains manques. Ici elle se révèle inégale. Jean‑François Borras est globalement laissé à lui-même, l’incarnation de Mario se bornant à un coup de pinceau sur le visage de Tosca symbolisant un instant le tableau peint dans l’église, et à un costume noir lors du début du troisième acte, où le chanteur semble enfin jouer, notamment quand il envisage la liberté gagnée à la force du couteau par sa maîtresse ; le reste du temps, on voit surtout le chanteur, avec une curieuse couverture brodée sur les épaules au début du deuxième acte, et bien trop recouvert de sang après la torture, sans qu’on y croie vraiment. Le lamento du troisième acte est chanté avec finesse mais sans aucune direction, à part une chute à genoux grandiloquente et vaine au moment de la dernière phrase, surjouée. Sulkhan Jaiani, lui, traîne la patte comme un véritable exilé en fuite ayant subi des tortures, et sa composition n’appelle que des éloges. Marc Barrard use de son expérience du bouffe offenbachien pour croquer un sacristain benoît et agacé.


Floria, elle, est bien composée, et l’actrice que sait être Monica Zanettin est fort investie, entre jeux de regards et expression corporelle : elle arpente la scène, et dans toutes les positions, fœtale sur le canapé après la mort de Scarpia, à genoux, au sol, debout, assise et lasse devant le piano au dernier acte, sans que jamais son jeu ne verse dans la caricature, son corps exprime son progressif abattement au fur et à mesure du drame de façon très convaincante, en robe Empire, comme en nuisette (Pitoiset lui fait offrir cette robe au chef de la police quand elle le supplie Scarpia dans « Vedi, le man giunte io stendo a te! », de façon assez absconse). Le baron, lui, reste drapé dans une raideur élégante, et souvent assis, faussement détendu, exprime la morgue consubstantielle au personnage, la haute stature élancée de Dario Solari y étant pour beaucoup. Mais le vice, la concupiscence, la tentation de la chair qui devraient apparaître plus clairement lors des rapprochements avec Tosca (qui ne se rappelle la plume d’oie dont Tito Gobbi effleurait l’épaule de Maria Callas dans la vidéo de Covent Garden ?) sont trop absents et manquent de parachever le portrait. La troupe de prêtres, si elle permet de construire d’assez beaux tableaux, notamment quand ils entourent de dos Tosca le poing levé juste avant le Te Deum au premier acte, parasite plutôt l’action.


Décousu et demi


Reste la prestation musicale et vocale, qui peut toujours compenser un concept scénique peu convaincant. Une bonne partie de ce poids repose sur les épaules de la cheffe Debora Waldman, habituée de l’Orchestre Dijon Bourgogne et de l’auditorium où se tient la représentation. D’emblée, on doit dire qu’elle ne sait pas déjouer le piège pourtant connu que constitue un auditorium : elle fait jouer l’orchestre souvent trop fort, et couvre les chanteurs un certain nombre de fois, où ils se retrouvent à faire de la pantomime bouche ouverte. Et d’emblée, les premiers accords montrent une pâte orchestrale colorée mais assez épaisse, étale, qui séduit peu. La transparence, l’étagement des pupitres vont nous manquer durant toute la représentation. Ceux‑ci vont se montrer inégaux pour cette dernière, les cuivres particulièrement problématiques, souvent faux, et même les bois seront plus d’une fois pris en défaut. A ces problèmes de justesse s’ajoute un parti pris de lenteur. Celui‑ci n’est pas un problème en soi : il n’y a qu’à écouter l’Otello de Verdi dirigé par Alain Guingal, à l’opposé de toute la tradition toscaninienne, mais d’une lenteur habitée, dense, intense, et formidablement suggestive. Ici la lenteur confine trop souvent à la mollesse, et la question du rythme se pose de façon cruciale : les accords violents dont la partition est parsemée doivent revêtir un poids spécifique, lourd de sens, et s’enchainer avec une vraie logique des accélérations qui garantit leur effet (en parallèle avec les « Più forte! » de Scarpia). Ici, trop souvent, Debora Waldman, tout en jouant trop fort, ne donne que des coups de boutoir empreints de mollesse, qui ne créent pas la tension voulue. Ces difficultés alternent avec des moments plus réussis, où la violence intrinsèque de la partition s’exprime avec justesse, créant des hiatus et une nette sensation de décousu. Le duo entre Mario et Tosca au premier acte manque est plutôt étale, manque de l’élan et de la passion attendues. Si l’entrée de Scarpia est dotée d’un éclat percussif grandiose, sans excès, le Te Deum s’enlise ensuite, et manque totalement son effet. Les rythmes mordants au début du deuxième acte font également défaut, du fait de trop de délié, trop d’articulation. Même la scène du meurtre de Scarpia manque de relief, de tranchant, jusqu’aux derniers accords de l’acte, sans vigueur. Si la spatialisation des cloches au début de l’acte III fait merveille dans l’auditorium, le prélude évoquant le réveil de Rome manque de transparence. Les timbales et les violoncelles se mettent remarquablement en valeur avant le lamento de Mario, mais ensuite les rythmes qui signent l’arrivée de Tosca réussissent à donner une impression de mollesse tout en étant joués trop fort. A rebours de la tradition, la fin du duo « Trionfal » montre un ralenti double piano assez étonnant. C’est sans doute un parti pris hédoniste, mais correspond-il à la situation dramatique ? Le rythme de l’attente après l’exécution est pesant mais pas angoissant, ce qui est aggravé par la couleur peu engageante des cuivres encore. On attend vainement le tranchant des accords finaux. La direction d’orchestre n’a donc pas rattrapé les incohérences de la mise en scène. Le Chœur de l’Opéra de Dijon, dirigé par Anass Ismat, et la Maîtrise de Dijon, dirigée par Etienne Meyer, sont, eux sans reproches.


E diedi il canto


Au-delà de l’esthétique d’une direction qui ne nous a pas convaincus, il faut prendre la mesure de la difficulté pour les chanteurs d’affronter un orchestre trop lourd dans l’acoustique d’un auditorium vaste sans l’appui nécessaire de décors pour renvoyer le son vers la salle. La dernière représentation ne les montre peut‑être pas sous leur meilleur profil. Néanmoins, ils sont plus satisfaisants que le reste de la production.


Parmi les comprimari, on retiendra l’Angelotti de Sulkhan Jaiani, au timbre somptueux (son « Scarpia scellerato » frappe les esprits), et le Geôlier de Jonas Yajure, dont le baryton est très clairement émis, et la diction excellente. Marc Barrard ne démérite pas en Sacristain, son grave reste solide, même si le timbre est émoussé et s’il manque tout de même d’italianità. Yuri Kissin offre une belle basse remarquablement émise à Sciarrone, tandis que Grégoire Mour présente un timbre plutôt léger et caractéristique qui convient bien à Spoletta.


Jean-François Borras fait ici ses débuts en Cavaradossi. Il partage son répertoire entre rôles francophones et italianophones (sans compter Lenski) mais ce n’est certes pas avec Mario qu’il peut exprimer ses qualités les plus évidentes, qui sont l’alliance profonde entre le mot et le son pour concevoir un phrasé d’une qualité rare grâce à des colorations très complexes, comme il l’a démontré en Werther et en Don José. Ici, l’élan et l’aigu priment, et on doit reconnaître que le ténor français a soigné son aigu, plus rayonnant et rond que jamais, en préparant ce rôle. Si le timbre comme la diction manquent d’italianità également, « Recondita armonia » est bien posé et lumineux, et l’artiste sait jouer de la dynamique (« mia sirena » pianissimo). Les écueils du peintre plastronnant sont affrontés avec succès (le si naturel « la vita mi costasse » au premier acte fuse avec éclat, et les si bémol des « Vittoria ! » du deuxième acte sont très brillants et pleins de punch), mais le lamento, si attendu, s’il est phrasé avec style, n’émeut pas, faute d’intentions. « O dolci mani », plus réussi, offre de splendides pianissimi, « le sventure » est comme une caresse. Au total, de belles qualités qui pourront être mieux mises en valeur dans une production qui offrira un cadre plus dense au personnage.


On attendait beaucoup de Dario Solari, lui qui, l’an dernier à Toulouse, nous avait ébloui en Germont père. La satisfaction n’y sera qu’à demi, l’artiste ayant peut‑être besoin de se préserver en fin de série, la face féline et altière du baron qu’il incarne avec beaucoup de classe ayant besoin d’un peu plus de poids timbrique ainsi que de hargne retenue et sensible pour pleinement convaincre. On l’a dit, le « Te Deum » déçoit du fait du rythme imprimé par la cheffe, mais durant la cantate, le baryton uruguayen fait valoir un legato excellent, et dans les répliques qui précèdent, le cynisme de « per amor de suo Mario » fait merveille, tandis que le mordant revient dans « A me Roberti e Il Giudice del Fisco ». Face à Tosca ensuite, dans le face‑à‑face qui constitue le sommet de l’œuvre, Solari insiste parfois sur certains mots, les mettant particulièrement en valeur sans sacrifier le phrasé (« un sorso », « per tuo voler »), démontrant une grande maîtrise de la prosodie italienne. « Gia mi struggea » montre le baron enflammé et éperdu, et « non resta più un’ora di vita » prend une couleur de désolation remarquable. Quelle finesse encore plus loin dans un « Aspetta » soufflé, quand il pousse Floria dans ses retranchements, quelle âme de serpent passe dans le « Ebbene » si ductile qui suit ! « Io tenni la promessa » est susurré, dans « Si adempia il voler vostro », l’émission mixée, est d’un raffinement effrayant, « E qual via scegliete?  », tracé au fusain, est un modèle d’incarnation du Mal qui se cache derrière une apparente douceur. Somme toute, ne manque qu’un peu d’épaisseur et de noirceur supplémentaire à ce Scarpia pour atteindre les sommets, dans un autre environnement.


Come la Tosca in teatro


Reste la Tosca de Monica Zanettin, qui bénéficie d’une expérience déjà riche (elle a chanté le rôle sur de grandes scènes européennes) et d’un instrument large et brillant qui transperce aisément le mur de l’orchestre. Si un peu de fatigue est sensible au troisième acte, c’est sans doute plutôt par choix interprétatif qu’elle ménage ses moyens sur les deux premiers, parfaitement consciente qu’il faut, pour donner du relief à ce personnage, éviter d’ouvrir grand les vannes trop vite et trop souvent. On a dit les qualités d’actrice de la chanteuse originaire de Vénétie, et elle met son art du chant de la même manière au service de l’expression, dans une recherche permanente du sens et de la vérité des émotions. L’instrument est puissant, toujours contrôlé, l’aigu particulièrement couvert, dans un but expressif, le médium très cuivré, d’un métal iridescent. Seul le grave est plus faible, et Zanettin use du parlando pour pallier le problème.


Dès le premier acte et le duo avec Mario, les délicatesses de « la nostra casetta », qui échappent à tant d’interprètes, comme les volate de « le voci delle cose! » parfaitement déliées, ravissent. Elle raffine son émission à l’envi pour donner des couleurs plus ondoyantes (« odorosi ») ou transparentes (« un folle amor! ») à son timbre. On sent à tout moment que la puissance de l’instrument est là, mais que l’artiste le tient en lisière, pour faire le portrait d’un personnage plein d’un feu intérieur couvant, qui retient l’expression de sentiments débordants. La mezza voce de « l’arte di farti amare! » comme la délicatesse à la fois suppliante et mutine de « Ma, falle gli occhi neri! » signent l’artiste d’importance. Les éclats de colère (« E l’Attavanti ») ne sont jamais portés jusqu’à l’excès. Face à Scarpia, « Ed io venivo a lui tutta dogliosa », a fior di labbra, est tout simplement émouvant, traduisant à merveille le désespoir grandissant de la cantatrice gagnée par le doute sur la fidélité de son amant.


Grâce à un travail constant sur l’émission et la dynamique, Monica Zanettin dessine les pleins et les déliés d’un personnage vivant, vibrant et qui émouvra d’autant plus au moment de sa mort, même si la mise en scène en atténue l’impact. Le deuxième acte est bien sûr le terrain d’expression le plus propice à ces qualités. La gradation des éclats vocaux est vraiment dosée, depuis la légèreté de « Mario, tu qui? » jusqu’au déferlement des « Non posso più », le dernier comme effondré par la douleur. Dommage que le très attendu « Vissi d’arte » soit en partie gâché par des respirations intempestives, car elle y intègre aussi de superbes sons filés (« diedi fiori agli altar ») et de magnifiques couleurs (« con man furtiva » à la fois douloureux et transparent, vulnérable), le dernier « così », translucide et implorant, emporte tout de même l’adhésion. Au moment de la mort de Scarpia, les « muori » sont mués en parlando, pour pallier le grave qui se dérobe. Quand Tosca rejoint Mario, la soprano alterne les moments de pure grâce (quelles consonnes dans « Rullavano i tamburi... », quelle lumière dans « Sei mia » !) avec quelques difficultés dans le grave (« gli piantai nel cor »). L’extase de « Chi si duole in terra più? » dit tout du rêve de fuite de Floria, tout comme l’abandon qui caractérise « aspettan tutte innamorate il sole? », l’artiste concluant après « Trionfal » par un « all’estasi d’amor » sur les pointes, démontrant qu’une Tosca d’envergure se reconnaît dans bien d’autres phrases que celles réservés aux duos et à l’aria.


Ce sont donc bien certains chanteurs qui ont sauvé cette représentation, mise sur de bien mauvais rails par la mise en scène et la direction d’orchestre, jusqu’à friser l’ennui. Quitte à explorer des voies subliminales, il aurait peut‑être mieux valu épargner Tosca, et fêter dignement le centenaire de la mort de Puccini avec de plus rares Villi ou Edgar, la maison dijonnaise ayant prouvé récemment avec le Stiffelio de Verdi que le public peut répondre présent devant la proposition d’une œuvre qui sort des sentiers battus.



Philippe Manoli

 

 

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