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Régime d’amaigrissement Normandie Deauville (Salle Elie de Brignac‑Arqana) 04/27/2024 - Arnold Schönberg : Kammersymphonie n° 1 en mi majeur, opus 9
Gustav Mahler : Kindertotenlieder (arrangement Eberhard Kloke)
Max Reger : Eine romantische Suite, opus 129 (arrangement Schönberg et Rudolf Kolisch) Aude Extrémo (mezzo-soprano)
L’Atelier de musique : Ensemble Ouranos : Mathilde Calderini (flûte), Philibert Perrine (hautbois), Amaury Viduvier (clarinette), Rafael Angster (basson), Nicolas Ramez (cor) ; Rémi Grouiller (cor anglais), Marie Brunet (clarinette), Julien Desgranges (clarinette basse), Arthur Régis dit Duchaussoy (cor), Wladimir Weimer (contrebasson) ; Quatuor Hanson : Anton Hanson, Jules Dussap (violon), Gabrielle Lafait (alto), Simon Dechambre (violoncelle) ; Philémon Renaudin-Vary (contrebasse), Arthur Hinnewinkel, Gabriel Durliat (piano), Marie Faucqueur, Thibault Fajoles (harmonium), Marcel Cara (harpe)
A. Extrémo, L’Atelier de musique, P. Dumoussaud (© Stéphane Guy)
Le dernier concert du vingt-huitième festival de Pâques de Deauville s’est achevé par un programme articulé autour d’œuvres à peu près de la même époque, au seuil du vingtième siècle, au sortir de la période post‑ romantique.
L’assistance est malheureusement très faible nonobstant l’affiche, indéniablement ambitieuse. Le directeur artistique du festival, Yves Petit de Voize, explique au début, après ses remerciements traditionnels, que le festival se termine une semaine plus tard que d’habitude parce que la salle a pu être prêtée pour cette semaine supplémentaire afin de permettre la préparation de ce concert dépassant par ses effectifs le format traditionnel de la musique de chambre. Mais, du coup, n’est‑ce pas la raison pour laquelle manque à l’appel une partie du public habituel, celui qui profite en général des vacances scolaires parisiennes pour débarquer dans la salle Élie de Brignac-Arqana ? S’ajoutent peut‑être aussi à cela un temps glacial et pluvieux ne poussant pas les Parisiens à venir sur la côte et surtout le fait que l’autoroute A13, de Normandie, est fermée au sortir de Paris depuis plusieurs jours en raison d’un glissement de terrain. Cela a pu décourager certains.
Quoi qu’il en soit, le concert débute par la superbe Première Symphonie de chambre (1906) d’Arnold Schönberg (1874‑1951) d’un expressionnisme entre deux mondes, celui d’avant et celui d’après. Les artistes sont emmenés par une direction dynamique, un peu trop dans le Langsam initial, pour une véritable coulée musicale d’une urgence prenante. La tension est permanente. La finesse des cordes du Quatuor Hanson contribue fortement à la réussite de cette lecture.
Les célèbres Kindertotenlieder (1904) laissent en revanche une impression plus mitigée. D’abord, ils sont proposés dans une version arrangée par Eberhard Kloke (né en 1948), compositeur qui s’est fait une spécialité des réductions et des arrangements. Initialement, il y a deux flûtes, un piccolo, deux hautbois, un cor anglais, deux clarinettes, une clarinette basse, deux bassons, un contrebasson, quatre cors, des timbales, un glockenspiel, un célesta, une harpe sans compter les cordes. Là, on se retrouve face un ensemble maigrichon composé d’une flûte, d’un piccolo, d’un hautbois, d’une clarinette, d’une clarinette basse, d’un basson, d’un cor, d’une harpe, d’un violon, d’un alto et d’une contrebasse. Les cordes censées remplacer celles de l’orchestre se retrouvent à trois. Face à cette appauvrissement dont on ne saisit guère l’intérêt musical, l’œuvre n’ayant pas besoin d’une réduction pour être connue, la voix d’Aude Extrémo, judicieusement placée au fond de la scène pour les raisons acoustiques qu’on a déjà eu l’occasion de signaler dans ces colonnes, n’a évidemment pas de peine à s’imposer. Le timbre est beau, la tessiture impressionnante, les graves sont profonds, mais nulle émotion ne se dégage. Le chant nous semble peu habité. Dans la berceuse du « In diesem Wetter » final, on cherche par exemple en vain un sentiment maternel meurtri. Tout est propre, maîtrisé, mais sec.
La seconde partie du concert est consacrée à Max Reger (1873‑1916). On peut ne pas aimer sa musique, la trouver épaisse, teutonne, indigeste, longue et finalement ennuyeuse. Son contrepoint a effectivement parfois l’allure de leçons de contrepoint. Son romantisme pâteux peut sembler bavard ou à bout de souffle. Surtout à nos oreilles de Français. Pourtant, cette musique mérite le détour même s’il faut faire des efforts pour rentrer dans ses subtilités harmoniques et si cela ne réussit pas du premier coup, même si tout n’est pas non plus du premier niveau dans une production absolument gigantesque (plus de cinq cents œuvres).
Le festival deauvillais a le mérite de programmer de temps en temps du Reger. Mais ce soir au lieu de puiser dans son corpus de musique de chambre – quatre‑vingt‑trois œuvres quand même, il y avait le choix –, son œuvre est abordée à nouveau au travers d’une réduction. Est retenu un opus post‑romantique peu connu, parsemé de chromatismes et curieusement teinté de debussysme sur la fin : la Suite romantique (1912). L’arrangement a été initié par Schönberg en 1919 mais achevé par Rudolf Kolisch. C’est que Schönberg avait créé en 1918 la Société d’exécution musicales privées et pour l’alimenter il fallait adapter des œuvres, qui avaient plu, à de petits ensembles de salon. Il avait ainsi arrangé des valses de Strauss (fils) pour piano, harmonium et quatuor à cordes. Ici, il dégraisse fort aussi : on passe d’un orchestre composé de trois flûtes, deux hautbois, un cor anglais, deux clarinettes, deux bassons, trois trompettes, quatre cors, trois trombones, un tuba, une harpe, trois timbales, cymbales et cordes à un ensemble dit « de salon » composé d’une seule flûte, une clarinette, un harmonium à quatre mains, un piano à quatre mains et un quatuor à cordes. La réduction est aussi drastique que pour les Kindertotenlieder mais suffit‑elle à nous faire apprécier la Suite de Reger, nous la faire appréhender à sa juste valeur ? On en doute. La cure d’amaigrissement permet d’entendre plus facilement la Suite mais, malgré sa « clarification », il faut bien reconnaître qu’on est loin de la version originale, somptueuse, comme au demeurant des Variations et Fugues sur des thèmes de Mozart (les meilleures), Beethoven, Telemann ou Hiller du même auteur. Rien n’imprime vraiment malgré la perfection instrumentale des artistes de ce soir et la précision de la direction de Pierre Dumoussaud. Le Notturno, abordé bien rapidement, est agréablement bucolique, le Scherzo est joué avec esprit tandis que le Final se termine sous les couleurs de la passion. Est‑ce encore du Reger ? Mieux que du Reger ? On peut en discuter.
Prochain concert dans la même salle, le mardi 30 juillet dans le cadre du vingt‑deuxième Août musical de Deauville.
Stéphane Guy
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