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Un autre opéra pour se réveiller Bruxelles Koninklijke Vlaamse Schouwburg 04/21/2024 - et 23, 24, 25, 26, 27 avril 2024 Grey Filastine, Walid Ben Selim et Brent Arnold : Ali (création) Brennan Hall/Sanele Mwelase* (Ali), Raphaële Green (Femme, Mère, Vedette), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Homme, Mohammed le trafiquant, Walid, Assistant, Abdi Aziz), Mehdi Mojahid (Trafiquant), Asa Ewing (Khadra), Lippeur (Mohammed), Ndala Muteb (Amina), Jair Montes (Ashim), Andie Dushime (Leila)
Orchestre de chambre de la Monnaie, Michiel Delanghe (direction musicale)
Ricard Soler Mallol (concert artistique, mise en scène), Marie Szersnovicz (décors, costumes), Cube.bz (lumières), Alesandra Seutin (chorégraphie), Elena Juárez (vidéo)
(© Simon Van Rompay)
La crise environnementale en 2023, la crise migratoire en 2024 : la Monnaie aborde de nouveau les grands enjeux de notre temps avec une création, cette fois au Théâtre royal flamand.
Ricard Soler Mallol, le concepteur et le metteur en scène de ce spectacle, a rencontré Ali, un Somalien qui a quitté son pays à l’âge de 12 ans pour fuir les islamistes. Forcé de quitter sa mère, son père ayant été tué par les intégristes, le garçon rejoint la capitale belge, en janvier 2019, au terme d’un périple de près de deux ans. Mêlant le français, l’arabe, le somali et l’anglais, le livret raconte, en un prologue, quatre actes et un épilogue, cette difficile et épuisante aventure. Victime, comme tant d’autres, des passeurs sans pitié et avides d’argent, Ali a même été emprisonné dans les geôles libyennes pendant presqu’un an avant d’entamer la dangereuse traversée de la Méditerranée.
Le spectacle parvient à concentrer cette histoire vraie sur un peu plus d’une heure et demie, grâce à une succession – un peu trop – rapide de séquences plus ou moins courtes, dans une approche plus poétique que réaliste. La mise en scène, qui n’occulte toutefois pas la dureté de certaines épreuves, convoque plusieurs disciplines, comme la danse, le théâtre et la vidéo, et comporte quelques belles idées, une des meilleurs étant la manière dont elle suggère le trajet en mer. Cependant, au quatrième acte, le cabaret parodique ironisant sur Frontex et la politique migratoire européenne semble incongru et dessert même un peu l’intention de cette mise en scène qui évite tout juste de paraître trop partisane. La question demeure donc ouverte, et infiniment complexe, au terme de ce spectacle quelque peu édulcoré, mais nécessaire, sur l’importance d’accueillir dignement en Europe ceux qui fuient la misère, la haine et la dictature, sans risquer de déstabiliser le délicat équilibre économique, politique et social que l’Union européenne tente de préserver. Toutefois, un film comme Moi, capitaine, de Matteo Garrone, sorti à la fin de l’année passée, et sur le même thème, constitue une expérience, certes forcément différente, compte de la différence des moyens utilisés, mais plus forte et mémorable.
Trois compositeurs issus d’univers différents se sont attelés à la partie musicale. Exécutée par un orchestre de treize musiciens, placés en hauteur sur une plateforme, cette composition amplifiée par l’électronique, pour un résultat peu probant, évolue dans une esthétique malaisée à cerner. Sans recourir explicitement à la pop, au jazz, au rap, ni à la musique extra-européenne, légèrement suggérée, toutefois, elle fait un peu penser, sans relever strictement de ce genre, à la musique des minimalistes américains et à celle de John Adams. Energique et percussive, elle sert plutôt bien le propos sans convaincre totalement de sa valeur et de son originalité. Michiel Delanghe dirige avec ce qu’il faut de conviction et de rigueur un Orchestre de chambre de la Monnaie irréprochable.
Outre des danseurs interprétant divers petits rôles, et des élèves d’une école bruxelloise, la distribution ne comporte que trois chanteurs mais deux d’entre eux interprètent plusieurs personnages, certains en complémentarité, dans une fonction de narration, Raphaële Green et Kamil Ben Hsaïn Lachiri, deux jeunes artistes qui sont déjà souvent apparus dans les spectacles de la Monnaie. Tous deux confirment leur talent et leurs qualités vocales, sans surjouer leurs personnages. Pour les différentes représentations, dont certaines réservées aux écoles, deux chanteurs incarnent en alternance Ali, un personnage forcément omniprésent. Le contre‑ténor sud‑africain Sanele Mwelase met sa belle voix légère et son jeu scénique sensible et sobre au service de ce courageux garçon dont le destin rejoint celui de tant d’autres qui ont le malheur d’être nés dans les pires endroits de la planète.
Sébastien Foucart
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