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Wagner d’exception, Brahms en chantier

Baden-Baden
Festspielhaus
03/25/2024 -  et 29* mars 2024

25 mars 2024
Richard Wagner : Tannhäuser : Ouverture et Scène du Venusberg – Die Walküre (Acte  I)
Vida Mikneviciūtė (Sieglinde), Klaus Florian Vogt (Siegmund), Kwangchul Youn (Hunding)
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)


V. Mikneviciūtė, K. F. Vogt, K. Petrenko, K. Youn
(© Monika Rittershaus)



Il a fallu plusieurs années avant que l’empreinte de Kirill Petrenko sur les Berliner Philharmoniker puisse s’exercer avec suffisamment d’intensité. Mais cette fois, après quelques saisons de rodage, qui ont en partie coïncidé avec le long tunnel de la pandémie, on a vraiment l’impression qu’un déclic s’est produit. La grande machine berlinoise donne l’impression d’obéir aux moindres indications d’un chef qui paraît obtenir en permanence ce qu’il désire : une écoute mutuelle aux aguets, une vivacité de réaction, une transparence, là où cette prestigieuse phalange avait trop souvent tendance à se laisser entraîner par sa propre inertie, en assurant un discours certes puissant, mais lourd. Des allégements de matière et une vivacité des coloris qu’auparavant Simon Rattle avait cherché lui aussi à obtenir, mais en utilisant des méthodes différentes, probablement plus approximatives et décontractées, en tout cas moins efficaces. Avec Kirill Petrenko, préméditation, précision, approfondissement jusqu’au plus infime détail, ne sont pas de vains mots, le miracle le plus étonnant étant qu’autant de minutie fonctionne sans jamais assécher la musicalité de l’ensemble, ni freiner des élans qui restent irrésistibles.


A cet égard, ce programme Wagner, déjà présenté à Berlin en guise de concert de la Saint‑Sylvestre, est exemplaire. Dès les premières mesures de l’Ouverture et Bacchanale de Tannhäuser, l’exceptionnelle densité du son réveille nos lointains souvenirs de l’ère Karajan, avec des interventions des vents idéalement galbées, dont un exposé du thème des pèlerins d’une formidable majesté cuivrée. Mais la proposition ne s’arrête pas là, avec progressivement des montées de tension, jusqu’à une délirante orgie de sonorités où couleurs et matières interagissent sans jamais paraître criardes ni se mélanger. Là, on est vraiment confronté à du pur Petrenko : d’indescriptibles moments de folie, mais où le trait reste rigoureusement net. On garde certes de merveilleux souvenirs d’Abbado et Rattle à Berlin, concerts où la complicité des musiciens avec leur chef pouvait conduire à des instants privilégiés, de partage et d’estime mutuelle. Mais avec Petrenko on retrouve une dimension différente, celle d’un véritable démiurge de la direction d’orchestre. Le magnétisme est comparable avec celui d’un Karajan naguère, le plus étonnant étant sans doute que l’on puisse retrouver aujourd’hui une pareille puissance, alors que les moyens humains mis à contribution sont radicalement différents. Petrenko n’est ni une star, qui se soucie de mettre son image en scène, ni un despote, juste un travailleur acharné, qui sait veiller en permanence à ce qui est réellement important pour amener des musiciens à donner le meilleur d’eux‑mêmes. Cet état de grâce berlinois va‑t‑il durer ? Evidemment, on ne connaît pas la réponse, mais ce soir, assurément, l’entente est optimale.


Même clarté surnaturelle dans le premier acte de La Walkyrie, qu’on ne se souvient pas avoir pu écouter avec autant d’évidence, de fluidité, de musicalité accordée à chaque détail, depuis de lointains souvenirs discographiques de l’âge d’or. Ici l’orchestre fonctionne comme un protagoniste à part entière, et tout autant au cours des longs passages où l’écriture reste chambriste, que dans les moments d’exaltation vocale les plus intenses, où l’élan collectif de l’accompagnement pourrait devenir plus global, alors qu’il garde toute sa finesse et ses nervures. Il n’y a pas ici que trois solistes vocaux et un orchestre, mais bien un collectif dramaturgique où chaque instrument joue aussi un rôle, phrase, déclame, rentre, sort, bref incarne sa partie en exploitant à fond son potentiel expressif. Heureuses les versions de concert, de pouvoir à ce point aviver les péripéties d’un théâtre orchestral purement imaginaire, et pourtant si intensément présent !


Les trois solistes, eux aussi, jouent, comme sur scène, sans pupitre ni partition, mais leur incarnation n’aurait sans doute pas la même force s’il n’y avait pas autant de partenaires inspirés juste derrière eux. Arrivé en dernière minute pour remplacer Brandon Jovanovich souffrant, Klaus Florian Vogt n’a aucun effort à faire pour s’intégrer à l’ensemble, en ayant à peine répété, tant Petrenko lui ménage un tapis orchestral constamment enveloppant et confortable. Et puis de toute façon Vogt connaît le rôle de Siegmund jusqu’à la plus infime inflexion d’un texte dont il ne nous laisse pas perdre un mot. Sa voix reste miraculeuse de précision et d’assurance, avec toujours ce caractère svelte voire un peu diaphane qui la rend particulière. Une incarnation évidente, aussi fraîche et vive que si le personnage sortait d’une enluminure médiévale. Une luminosité que l’on retrouve aussi chez sa partenaire, la soprano lituanienne Vida Mikneviciūtė, à la projection également svelte, et dont le timbre s’assortit mieux à celui de Klaus Florian Vogt qu’au bronze un peu terni de Jonas Kaufmann récemment à Berlin. Là encore une incarnation particulière, convaincante, bien qu’elle puisse paraître manquer d’un peu de fermeté et de flamboyance dans l’aigu, zone de la tessiture qui reste percutante, mais parfois curieusement instable. Aucun problème technique en revanche pour Kwangchul Youn, toujours aussi solide même s’il a aujourd’hui l’essentiel de sa carrière derrière lui. Un Hunding d’une agressivité sobrement contenue, qui mise davantage sur l’intelligibilité des menaces proférées dans son texte que sur l’impact brut de sa voix. Mais, ici, en matière de pur impact sonore, ce sont de toute façon les Wagnertuben berlinois qui assurent l’essentiel du travail, avec des grondements qui font froid dans le dos.


29 mars 2024 - et 1er avril 2024 (Baden‑Baden)
Jean Sibelius : Concerto pour violon en ré mineur, opus 47
Johannes Brahms : Symphonie n° 4 en mi mineur, opus 98
Lisa Batiashvili (violon)
Berliner Philharmoniker, Kirill Petrenko (direction)



L. Batiashvili, K. Petrenko (© Monika Rittershaus)


Un concert Wagner donné une fois seulement, contrairement à l’autre programme dirigé par Kirill Petrenko, joué deux fois au cours du week‑end de Pâques, et curieusement moins abouti, alors qu’on en attendait beaucoup. Là on se heurte sans doute aux contraintes de l’agenda chargé d’un orchestre certes d’élite, mais qui ne peut plus guère répéter au dernier moment, une fois l’énorme machinerie du Festival de Pâques mise en route. Dès lors, il faut compter beaucoup sur les acquis, et même avec un chef aussi précis et lisible que Petrenko, ce n’est pas toujours évident. D’où quelques petits problèmes d’ensemble, bien audibles dans le premier mouvement de la Quatrième Symphonie de Brahms, et ce d’autant plus que le chef y recherche une transparence forcément révélatrice du moindre décalage. Et puis la conception même qu’a Petrenko de cette symphonie peut paraître manquer de substance : un Brahms svelte, vif, champêtre... Or il nous semble quand même que cette Quatrième Symphonie, c’est bien autre chose, un chef‑d’œuvre d’une majesté voire d’une âpreté tardive relativement intimidantes, aspects monumentaux ici assez systématiquement éludés. Cette approche nerveuse réussit bien à l’Allegro giocoso, joué aussi alerte et scandé que s’il s’agissait d’une Danse hongroise, mais désarticule la passacaille finale, segmentée en épisodes qui paraissent mal raccordés, comme si le discours tombait tout à coup dans des trous inopinés. L’effet d’errance est particulièrement net après l’intervention d’Emmanuel Pahud, solo de flûte avantageux mais dont la scansion s’affranchit d’une architecture globale de toute façon plutôt incertaine. Bref, un Brahms qui, à ce stade d’un travail encore à approfondir, laisse perplexe.


Frustration analogue avec Lisa Batiashvili, interprète probe et fiable, dont on attendait beaucoup plus qu’une interprétation du Concerto de Sibelius simplement posée, voire précautionneuse. On a un peu tendance à oublier qu’il s’agit de l’un des concertos les plus périlleux du répertoire, alors qu’ici on le ressent vraiment. Les traits paraissent en place, mais le défi technique n’est jamais transcendé, et, faute de panache, on s’ennuie. Petrenko, remarquable accompagnateur, n’a aucun mal à mettre l’orchestre au pas pour suivre sa soliste d’un soir, en prenant au passage le temps de révéler dans l’accompagnement tout un monde de nuances et de moirures, mais, faute d’un violon solo jouant un réel rôle moteur, cela ne suffit pas. A force de devoir s’épier et s’attendre, chef et soliste en finissent même, à la fin du premier mouvement, par ne plus être ensemble, décalage vite rattrapé, mais qui en dit long sur une intendance technique bien trop au premier plan pour que cette musique puisse prendre réellement son envol.


Bis de circonstance pour cette période de Pâques : l’Air de la Troisième Suite de Bach, joué par Lisa Batiashvili accompagnée par le premier pupitre de chacune des sections de cordes, mais dont l’interprétation là encore paraît surtout lisse, dépourvue de chaleur. Décidément, ce soir, l’inspiration n’y est pas !



Laurent Barthel

 

 

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