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Pastiche nostalgique Bruxelles La Monnaie 03/23/2024 - et 27, 30 mars, 2, 5, 7* avril 2024 Rivoluzione e Nostalgia : « Nostalgia » (création) Scott Hendricks (Carlo), Giovanni Battista Parodi (Giuseppe), Dennis Rudge (Lorenzo), Helena Dix (Donatella), Gabriela Legun (Virginia), Paride Cataldo (Icilio), Saténik Khourdoïan (Laura)
Académie des chœurs de la Monnaie, Chœurs de la Monnaie, Emmanuel Trenque (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Carlo Goldstein (direction musicale)
Krystian Lada (script, mise en scène, décors, vidéo), Adrian Stapf (costumes), Aleksandr Prowalinski (lumières), Michiel Vandevelde (chorégraphie)
(© Karl Forster)
Suite du diptyque verdien conçu par Krystian Lada et Carlo Goldstein. Dans « Nostalgia », qui se déroule quarante ans après « Rivoluzione », nous apprenons ce que sont devenus Carlo, Giuseppe et Lorenzo, le premier homme d’affaires, le deuxième ancien homme politique autoproclamé guide spirituel (sic), le troisième pianiste de jazz. Cristina, un des personnages de la première partie, décédée entre temps, a donné naissance à une fille, Virginia, qui ignore l’identité de son père. Etudiante, cette dernière réalise un documentaire sur les événements de 1968 après avoir retrouvé les archives de sa mère.
Plus courte que la première, et sans entracte, la seconde partie adopte une trame différente. Elle évolue, en effet, dans un registre plus axé sur l’introspection, dans un huis‑clos, et elle s’éloigne volontairement de la structure et de la dynamique des opéras de jeunesse de Verdi. Carlo, Giuseppe et Lorenzo, réunis à l’occasion d’un vernissage, se remémorent leur jeunesse, reviennent sur leur engagement politique, formulent des regrets, culpabilisent aussi. Une figure importante, mais absente, dans cette seconde partie, demeure dans les esprits, celle de Laura, activiste radicale morte dans un attentat-suicide. Saténik Khourdoïan, habillée comme la révolutionnaire de 1968, en interprète brillamment le spectre au violon.
Le dispositif se concentre sur un seul élément de décor important. La barricade du troisième acte de la première partie réapparaît mais en tant qu’œuvre d’art signée Icilio, un artiste très engagé, anticapitaliste et accessoirement en couple avec Virginia. Elle est exposée, d’abord recouverte d’une bâche en plastique, dans la galerie de l’exubérante Donatella. La mise en scène recourt de nouveau à la vidéo, mais aussi, bien que dans une moindre mesure, à des artistes de hip‑hop, ce qui assure une certaine cohérence dramaturgique et esthétique entre les deux volets. La scénographie se caractérise encore par une intéressante utilisation de la lumière et le buste de Verdi, cette fois intégré dans l’œuvre d’art, apparaît de nouveau comme accessoire de décoration. Malgré une direction d’acteur plutôt soignée, mais qui n’évite pas les banalités, comme la tentative de suicide avec canon pointé sur le crâne, la mise en scène possède un peu moins de ressort dramatique que dans la première partie, et le spectacle tire un peu en longueur, manque d’impact, en dépit d’une conclusion marquante : les anciens amis détruisent l’œuvre d’Icilio, qui prend feu.
Vu dans son entièreté, si possible la première avant la seconde, les deux étant représentées en alternance, ce diptyque présente néanmoins une incontestable unité esthétique. Il aurait probablement été possible d’imaginer plutôt un seul spectacle en deux parties contrastées, en se concentrant sur les idéaux révolutionnaires, mis à mal par le temps et le confort, sans toute cette intrigue amoureuse et familiale quelque peu pénible et improbable – d’ailleurs, à la fin, Virginia reconnaît Carlo comme son père. Les premiers opéras du compositeur, d’Oberto à Stiffelio, offrent toutefois tant de belles pages. Les un peu plus de quatre heures et demie de musique de cette production nous font vraiment prendre conscience de leur grand intérêt.
A la tête d’un orchestre toujours aussi ferme et précis, élégant et théâtral, Carlo Goldstein dirige admirablement ce pasticcio, avec ce qu’il faut de conviction mais aussi de justesse, mettant ainsi merveilleusement en valeur la musique du jeune Verdi. Il peut compter sur le solide métier des chefs de pupitre, en premier lieu le violoncelliste solo, impeccable de précision et d’expressivité dans le Prélude d’I masniaderi, placé au début de l’épilogue. La Monnaie devrait lui confier un autre opéra, plus tardif, de Verdi, comme Don Carlos qui n’y a plus été représenté depuis 1996.
La seconde partie réunit une distribution presque totalement différente de la première, mais d’un niveau équivalent, bien que les voix paraissent, certainement pour une question de crédibilité, moins vaillantes. Seule Gabriela Legun apparaît dans les deux. Après Cristina, la jeune et talentueuse soprano polonaise interprète en toute logique sa fille, Virginia : une voix décidément merveilleuse, de timbre, de plénitude, d’expressivité. Un acteur néerlandais originaire du Surinam reprend le rôle de Lorenzo. Le choix d’un comédien pour ce personnage, distribué à un chanteur dans la première partie, nous semble incompréhensible, malgré le charisme et la présence de Dennis Rudge. A de nombreuses reprises à l’affiche des productions de la Monnaie, Scott Hendricks démontre une fois de plus son talent d’acteur et sa maîtrise vocale, mais le rôle de Carlo, certes fort bien tenu, il ne marque pas autant les esprits qu’en Alberich. Giovanni Battista Parodi délivre une belle prestation en Giuseppe. Cette basse adopte un style de chant des plus soignés, sobre et juste, un métier acquis à travers différents rôles verdiens. Originaire d’Australie, Helena Dix retient l’attention, par sa corpulence, certes, et dont elle joue, et le metteur en scène aussi, probablement, mais aussi par sa voix aux teintes variées, avec un assez remarquable registre grave. Il s’agit, avec Gabriela Legun, de l’autre révélation de cette production. Paride Cataldo, enfin, se distingue, en Icilio, par sa voix chaleureuse et son chant lumineux.
En somme, voici assurément un double spectacle intéressant, sur des intentions assez risquées, mais correctement assumées. Toutefois, il y a un an, un autre pasticcio en deux parties nous avait davantage séduit et captivé, Bastarda, décidément une des plus grandes réussites de ces dix dernières années à la Monnaie.
Sébastien Foucart
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