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Un Atys plus vrai que nature Tourcoing Théâtre municipal Raymond Devos 03/17/2024 - et 10 (Avignon), 26 (Paris) mars 2024 Jean-Baptiste Lully : Atys Mathias Vidal (Atys), Véronique Gens (Cybèle), Sandrine Piau (Sangaride), Tassis Christoyannis (Célénus), Hasnaa Bennani (Doris), Virginie Thomas (Flore, Une divinité de fontaine), Eléonore Pancrazi (Melpomène, Mélisse), David Witczak (Le Temps, Un Songe funeste, Le Fleuve Sangar), Antonin Rondepierre (Un Zéphyr, Morphée, Un Grand Dieu de fleuve), Adrien Fournaison (Idas, Phobétor), Carlos Porto (Le Sommeil, Un Grand Dieu de fleuve), Marine Lafdal‑Franc (Iris, Une Divinité de fontaine), François-Olivier Jean (Phantase)
Les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie, Alexis Kossenko (direction musicale)
Victor Duclos (chorégraphie), Pierre Daubigny (lumières)
(© Studio Delestrade)
1987 : à l’occasion du tricentenaire de la mort de Lully, Jean‑Marie Villégier et William Christie ont recréé Atys (1676), tragédie en un prologue et cinq actes sur un poème de Quinault. Cette célèbre production, reprise en 2011 à l’Opéra‑Comique, constitue un jalon du renouveau de la musique baroque française. Mais c’était il y a trente‑sept ans, presque une éternité en regard de l’évolution de la recherche historique, musicologique et organologique, même si cet évènement revêt encore aujourd’hui beaucoup d’importance pour la compréhension de ce répertoire. Cet opéra, qui fut, semble‑t‑il, le préféré de Louis XIV, demeure peu souvent représenté. Le Grand Théâtre de Genève en a toutefois proposé une nouvelle production il y a deux ans, avec Angelin Preljocaj à la mise en scène et Leonardo García Alarcón à la direction musicale.
Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie et le Centre de musique baroque de Versailles ont entrepris de remonter l’ouvrage avec davantage d’authenticité, un travail de recherche qui a duré trois ans. Dans le cadre de ce projet, concrétisé par une série de concerts, des hautbois de l’époque furent construits à l’identique. Les six instruments, dont un, une basse de cromorne, d’une taille supérieure à celle du musicien qui le joue, apparaissent même sur la scène à plusieurs reprises, prenant visuellement part au spectacle, comme cela fut le cas au dix‑septième siècle, selon les assez copieuses notes du programme. Ce souci de rigueur se manifeste aussi dans l’effectif de l’orchestre dans la fosse, mais également dans la composition des chœurs divisés en groupes dont un constitué, comme à l’époque, de voix d’enfants, en l’occurrence ceux des Pages du Centre de musique baroque de Versailles. Comme l’ouvrage comporte de la danse, le Ballet de l’Opéra Grand Avignon prend part à cette histoire d’amour contrariée et à l’issue malheureuse.
En fermant les yeux, nous entendons une version censément la plus proche possible des représentations originales, mais en les ouvrant, nous voyons un spectacle de conception moderne, sans les décors et les costumes de cette époque lointaine. Celui‑ci se caractérise par son dépouillement, car il se tient dans la cage de scène dépourvue du moindre élément décoratif, mais Pierre Daubigny signe de beaux éclairages et la chorégraphie de Victor Duclos, responsable de la mise en scène de ce qui constitue bien plus qu’une simple de version de concert, représente, de façon métaphorique et symbolique, les différentes fonctions que la danse remplit dans cet ouvrage. Les mouvements scéniques exécutés par l’admirable troupe de danseurs constituent un élément hautement plaisant de cette production.
Tous les musiciens, chanteurs et instrumentistes confondus, font montre d’une incontestable justesse expressive et d’une haute maîtrise technique. Il suffit de lire les noms réunis sur l’affiche pour se rassurer a priori sur l’excellence musicale, un sentiment largement conforté durant l’exécution. Dirigés fermement par Alexis Kossenko, qui traduit admirablement le souffle et la dynamique de cette musique, Les Ambassadeurs et La Grande Ecurie produisent une sonorité d’une grande beauté et jouent cette musique avec élégance, ferveur et précision. Les bois, en particulier, attirent l’attention lors de chacune de leurs interventions.
Les chanteurs semblent totalement rompus à ce répertoire, et tous, même Tassis Christoyannis, dont le grec est la langue maternelle, prêtent attention à la prononciation de la langue française, ce qui rend quasiment superflu la lecture des sous‑titres. Mathias Vidal, qui nous a convaincu en Thésée il y a un an à Bruxelles, confirme en Atys ses qualités de timbre et de justesse. Véronique Gens ne doit plus rien prouver depuis longtemps dans ce répertoire. Dans le rôle de Cybèle, la soprano impressionne de nouveau par l’art de la déclamation, la pureté de la ligne de chant, l’approche interprétative d’une incontestable autorité. De la même génération, Sandrine Piau séduit aussi en Sangaride, par la voix, bien différente de celle de sa partenaire, mais aussi par sa finesse et sa sensibilité. Et faut-il encore vanter les mérites de Tassis Christoyannis qui compose un superbe Célénus ?
L’homogénéité caractérise donc cette distribution de haut vol pour les rôles principaux et d’excellente tenue pour les autres, et dans laquelle figurent une Hasnaa Bennani vocalement pure et légère, Virginie Thomas, qui se glisse trop discrètement, mais avec la justesse et le métier requis, dans ses deux rôles, Eléonore Pancrazi, à la belle présence, ainsi que David Witczak, interprète impeccable et spécialisé dans la musique française des dix‑septième et dix‑huitième siècles, entre autres remarquables chanteurs masculins réunis sur la scène. Un enregistrement à paraître chez Alpha Classics immortalisera ce nouveau jalon interprétatif.
Un spectacle de grande classe, digne d’une capitale européenne. Il se tient pourtant à Tourcoing, dans les Hauts‑de‑France.
Sébastien Foucart
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