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Le sérail n’a rien perdu de son charme Milano Teatro alla Scala 02/25/2024 - et 29 février, 3, 5, 8, 10* mars 2024 Wolfgang Amadeus Mozart : Die Entführung aus dem Serail, K. 384 Sven-Eric Bechtolf (Selim), Jessica Pratt (Konstanze), Jasmin Delfs (Blonde), Daniel Behle (Belmonte), Michael Laurenz (Pedrillo), Peter Rose (Osmin)
Coro del Teatro alla Scala, Giorgio Martano (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Thomas Guggeis (direction musicale)
Giorgio Strehler (mise en scène), Laura Galmarini (reprise de la mise en scène), Luciano Damiani (décors et costumes), Marco Filibeck (lumières), Marco Merlini (mime)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
Etrennée en 1965 à Salzbourg, avec dans la fosse un Zubin Mehta âgé d’à peine 29 ans, la production de L’Enlèvement au sérail signée Giorgio Strehler fait incontestablement partie des spectacles qui ont marqué l’histoire de l’opéra. Aussi ne peut‑on qu’applaudir la décision de la Scala de la reprendre, comme l’illustre théâtre l’avait déjà fait une première fois en 1972, puis en 1978, 1994 et 2017 – avec Zubin Mehta à la direction musicale –, avant une nouvelle série de six représentations cette année. Certes, le spectacle accuse son âge, en raison surtout des toiles peintes, à l’orientalisme naïf, qui en constituent le décor. Mais pour le reste, le charme continue d’opérer et on demeure émerveillé de cette stylisation élégante de l’ouvrage de Mozart, avec ses ombres chinoises et ses habiles jeux de lumière. Pendant les grands airs, les chanteurs sont plongés dans le noir sur le devant de la scène, seule est visible leur silhouette, alors que les récitatifs se déroulent à l’arrière du plateau en pleine lumière, dans des variations de couleur allant du blanc au bleu clair et figurant un ciel immense. Avec une exception notable cependant : l’air le plus célèbre de l’ouvrage, celui que tous les spectateurs attendent, « Martern aller Arten », est interprété comme s’il s’agissait d’une pièce de concert, toutes lumières allumées, y compris dans la salle, avec la cantatrice adoptant des poses figées et un peu caricaturales, dignes d’une diva. Pour son premier rendez‑vous avec le génie de Salzbourg, Giorgio Strehler avait clairement mis l’accent sur la comédie et conféré au spectacle une délicieuse touche poétique ; Laura Galmarini a repris la mise en scène avec beaucoup de légèreté et d’humour.
Dans la fosse, le jeune Thomas Guggeis (qui a plus ou moins le même âge que Zubin Mehta en 1965), révélé à Berlin par Daniel Barenboim, fait des merveilles. Avec des gestes amples et élégants, il tient bien en main fosse et plateau et offre un Mozart brillant et pétillant, frais et ironique, avec une attention constante portée aux couleurs et aux nuances. Le chef sera particulièrement applaudi au rideau final. Le plateau vocal se révèle de très haut niveau. Il est emmené par la soprano Jessica Pratt, Konstanze noble et seigneuriale, aux gestes hiératiques et solennels, et à la voix ronde et veloutée, homogène sur toute la tessiture. Les vocalises ne lui posent aucune difficulté et le meurtrier « Martern aller Arten », interprété avec une facilité déconcertante, fait tout simplement chavirer la salle. Daniel Behle est un Belmonte passionné, au phrasé élégant et aux aigus lumineux. Avec sa stature imposante et ses talents d’acteur incontestables, Peter Rose incarne un Osmin particulièrement drôle et truculent, aux graves profonds. Jasmin Delfs campe une Blonde tout à la fois malicieuse et sensuelle, au timbre gracieux et aux aigus brillants. Avec sa voix claire et bien timbrée, Michael Laurenz incarne un Pedrillo dégourdi et convaincant. Le rôle (parlé) de Selim est confié à Sven‑Eric Bechtolf, acteur et metteur en scène allemand, qui se veut un pacha humain et émouvant. On n’oubliera pas non plus l’excellente prestation du chœur. Un spectacle enthousiasmant à tous points de vue. A quand la prochaine reprise ?
Claudio Poloni
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