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Un souffle postromantique ardent Frankfurt Oper 02/25/2024 - et 28* février, 3, 9, 13, 16, 23, 31 mars 2024 Alexander von Zemlinsky : Der Traumgörge AJ Glueckert (Görge), Zuzana Marková (Gertraud, La Princesse), Magdalena Hinterdobler (Grete), Dietrich Volle (Le meunier), Alfred Reiter (Le pasteur), Mikolaj Trąbka (Mathes), Liviu Holender (Hans), Michael Porter (Züngl), Iain MacNeil (Kaspar), Juanita Lascarro (Marei), Andrew Bidlack (L’aubergiste), Barbara Zechmeister (La femme de l’aubergiste), Thomas Schobert, Lars Rössler (Paysans), Alexey Egorov, Yongchul Lim (Garçons), Tiina Lönnmark (Une voix de rêve)
Chor der Oper Frankfurt, Tilman Michael (chef de chœur), Alvaro Corral Matute (chef du chœur d’enfants), Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Markus Poschner (direction musicale)
Tilmann Köhler (mise en scène), Karoly Risz (décors), Susanne Uhl (costumes), Jan Hartmann (lumières), Gal Fefferman (chorégraphie), Zsolt Horpácsy (dramaturgie)
AJ Glueckert, Z. Marková (© Barbara Aumüller)
Soutenu par Brahms au début de sa carrière, Alexander von Zemlinsky (1871‑1942) embrassa les modes alors en vogue pour ses deux premiers ouvrages lyriques, le premier d’entre eux appartenant à une veine orientaliste, avant que le deuxième n’emprunte à l’imaginaire féerique des contes, à l’instar de Humperdinck. La création du troisième opéra, George le rêveur (1906), fut ensuite annulée du fait du renvoi de Gustav Mahler de l’Opéra de Vienne, alors principal soutien de Zemlinsky, avec Schoenberg. L’ouvrage ne trouva jamais le chemin de la scène et tomba rapidement dans l’oubli, avant qu’il ne resurgisse des archives viennoises pour une création tardive en 1980. La musique opulente et expressive fait immédiatement penser à la fantaisie symphonique La Petite Sirène (1903), elle aussi redécouverte dans les années 1980, suite à son rejet par le compositeur, insatisfait de ce style postromantique au lyrisme débordant (voir notamment en 2015 à Paris).
Plus sombre, l’atmosphère de George le rêveur épouse le mal être existentiel du rôle‑titre, un idéaliste prisonnier du corset d’une société villageoise aux mœurs traditionnelles. Le refuge dans l’univers confortable des rêves et des contes de fées n’est qu’un prétexte pour échapper aux attendus sociaux, du refus du mariage arrangé avec une paysanne prosaïque à l’incapacité de mener une révolte ouvrière, en tant qu’intellectuel isolé des préoccupations fédératrices. Comment affronter la réalité du monde (notamment l’absurde répétition des guerres) et acquérir une conscience politique autonome ?
Le récit initiatique de George, baigné de relents symbolistes et psychanalytiques, souffre toutefois d’une action trop réduite, qui embarque son anti‑héros et sa muse en des réflexions philosophiques parfois inutilement alambiquées, sans éviter quelques redondances fastidieuses au dernier acte, plus faible que les précédents en comparaison. La musique, d’une richesse harmonique haute en couleur mais un rien trop prévisible, fait s’entrecroiser les mélodies entre elles en un style proche de Richard Strauss, mais sans les audaces vénéneuses de Salomé. Les ouvrages suivants de Zemlinsky sauront gagner en subtilité par des alliages de timbres plus ambigus et morbides, proches de son cadet Schreker, en lien avec des livrets plus cruels (notamment Le Nain, en 1922).
Redécouvert à Dijon en 2020 en une réduction chambriste, George le rêveur gagne à être entendu dans sa version originale, tant les effets de masse impressionnent dans les scènes les plus réussies, comme le finale dantesque du second acte : la foule cerne alors les deux tourtereaux pour les conduire au bûcher, en une musique spectaculaire, ce qui conduit à un contraste saisissant au début de l’épilogue, aux effets harmoniques plus intimistes et audacieux, confiés à la facétie narquoise des bois. Tout amoureux de l’orchestre est ici à la fête, et ce d’autant plus que le geste enflammé de Markus Poschner lui donne une sorte d’évidence dans les enchaînements, à force d’attention à la narration expressive. L’Opéra de Francfort a souhaité préserver cette captation pour le disque, grâce à son partenariat avec Naxos.
C’est la une initiative heureuse, tant le plateau vocal se montre lui aussi à la hauteur de l’événement. Ainsi du rôle‑titre écrasant confié à AJ Glueckert, qui démontre une nouvelle fois ses qualités de phrasés, d’une noblesse éloquente sur toute la durée du spectacle (trois heures, y compris un entracte). Seule la puissance lui fait parfois défaut face aux déchaînements de la fosse, à l’inverse de sa partenaire Zuzana Marková (Gertraud et La Princesse), idéale en ce domaine, comme dans la présence dramatique. On retient aussi le chant ardent de Magdalena Hinterdobler (Grete), très solide techniquement, de même que le superlatif Iain MacNeil (Kaspar), d’un engagement toujours sans faille, entre mordant d’intention et précision d’articulation. On aimerait le retrouver dans un rôle plus étoffé encore, à la mesure de ses immenses possibilités.
En attendant, il faut courir applaudir cet ouvrage rarissime, dans une mise en scène minimaliste (un rien trop prudente) qui insiste sur l’enfermement mental de George, avant de se délecter des prochaines reprises très attendues à Francfort en mars, Carmen de Bizet, puis L’Italienne à Londres de Cimarosa.
Florent Coudeyrat
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