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Une dernière page d’histoire ?

Strasbourg
Palais de la Musique
01/26/2024 -  
Hector Berlioz : Les Troyens : « Chasse royale et orage » (*) & « Nuit d’extase et d’ivresse infinie ! » – Roméo et Juliette, opus 17 : « Roméo seul – Grande fête chez Capulet »
Richard Wagner : Wesendonck-Lieder (*)

Joyce DiDonato (soprano), Michael Spyres (ténor)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Ludovic Morlot (*), John Nelson (direction)


M. Spyres, J. DiDonato , J. Nelson (© Grégory Massat)


Non pas un chef à l’affiche, pour ce concert très attendu, mais deux, Ludovic Morlot et John Nelson. Une configuration rare, qui s’explique surtout par l’état de santé devenu fragile du chef américain, qui a préféré ne s’engager à diriger qu’un demi- concert. Avec aussi la possibilité rassurante de pouvoir se faire remplacer complètement par l’autre chef de l’affiche, en cas de défaillance au dernier moment.


Place donc, en première partie, à Ludovic Morlot, et à un Orchestre philharmonique de Strasbourg en grande forme, avec en particulier des cuivres impeccables, dont un pupitre de cors agréablement sûr. De quoi déployer de magnifiques moments de rutilance au cours de la « Chasse royale et orage » des Troyens, avec exactement les sonorités requises, et de belles progressions, sous une direction attentive. Une remarquable entrée en matière, à quelques raideurs de début de concert près, les prémisses bucoliques de cette scène descriptive donnant parfois l’impression que les éléments du décor musical planté vacillent un peu.


Seule infidélité à Berlioz au cours de la soirée, les Wesendonck-Lieder de Wagner sont chantés ici par une voix masculine, et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de l’inclassable Michael Spyres, chanteur réputé pour sa versatilité, favorisée par une tessiture d’une étendue exceptionnelle. Cela dit, pas besoin d’être un « baryténor », selon l’appellation revenue en vogue, pour chanter ces lieder, qui ne posent pas particulièrement de problème à une voix de ténor wagnérien, une fois la transposition requise effectuée (une octave en dessous). La partition de Wagner a beau indiquer restrictivement « Fünf Gedichte für eine Frauenstimme », rien ne s’oppose en fait à cette appropriation masculine, et beaucoup de ténors, en particulier de grands interprètes du rôle de Tristan, ont déjà tenté l’aventure, a commencer par le plus grand de tous, Lauritz Melchior, mais aussi, plus près de nous, René Kollo, Stuart Skelton, Jonas Kaufmann... tous sans doute tentés par les effluves irrésistiblement « tristanesques » de ces pièces.


Michael Spyres appartient-il cependant déjà à ce cercle très fermé des grands interprètes wagnériens ? On n’en est pas tout à fait sûr encore, même si la voix affiche déjà une belle ampleur. Le timbre est beau et l’interprète ne lésine pas sur les intonations subtiles, mais parfois l’orchestration relativement chargée de Felix Mottl l’engloutit, en dépit des efforts de Ludovic Morlot pour raffiner les alliages, souvent très beaux, avec en vedette un remarquable cor solo, qui, lui aussi, chante. En fait, c’est surtout cette trop grande proximité de timbre et de hauteurs entre la voix et les instruments qui pose problème, ce qui n’est évidemment jamais le cas quand une soprano de bon format chante ces lieder. Et puis la diction de Michael Spyres s’avère quand même moins bonne en allemand que son excellente maîtrise des subtilités du français. Mais qu’importe, on se console, avec beaucoup de beaux moments épars, qui nous font oublier que la grande ligne n’y est pas. Et on n’en attend qu’avec plus d’impatience la prise de rôle de Lohengrin par Michael Spyres à l’Opéra national du Rhin, d’ici quelques semaines.


Point culminant du concert : le duo « Nuit d’extase et d’ivresse infinie ! » des Troyens. John Nelson, en définitive plutôt ingambe, gagne sans problème son tabouret, dirige assis mais avec une belle efficacité, même si le geste paraît plus économe et limité que naguère, et le trio magique de la version discographique des Troyens enregistrée en public ici même en 2017 se reforme. Tout aussi épanoui et frémissant du côté de l’orchestre, qui gagne instantanément au changement de chef, paraissant tout à coup jouer plus souplement et librement, véritable passage en division supérieure, et peut‑être encore plus accompli du côté des voix, en particulier pour Michael Spyres, qui arrive là évidemment beaucoup plus frais, sans avoir eu auparavant déjà une bonne partie du rôle d’Enée à chanter. Pour Joyce DiDonato en Didon, c’est un peu plus problématique, à froid, et avec le poids de sept années de carrière en plus, mais la voix se rétablit relativement vite. Et il se passe vraiment des choses miraculeuses, l’émotion conjointement entretenue par ces deux voix (un discret frémissement expressif, extrêmement subtil, aux limites de l’ornementation, dans un esprit très belcantiste), paraissant idéalement soutenue par un orchestre constamment à l’écoute.


Joyce DiDonato affronte ensuite la scène lyrique Cléopâtre, en partenariat avec le même John Nelson qui avait su si miraculeusement l’accompagner au disque en 2022, dans cette page particulièrement exigeante et intense (un document essentiel, à retrouver sur un double CD paru chez Warner, où il complète le Roméo et Juliette enregistré en public à Strasbourg). Ici le miracle ne se reproduit pas totalement, en dépit de l’engagement dramatique éperdu de la chanteuse, principalement parce que la diction de Joyce DiDonato, en général décente devant les micros, a toujours tendance à se brouiller sur le vif. Somme toute, ce soir, on ne comprend pas grand‑chose, et un surtitrage n’aurait pas été de trop, les familiers de l’œuvre n’étant sans doute pas légion dans la salle. Donc une belle scène tragique mais où le potentiel expressif de la voix, du moins si on ferme les yeux et on fait dès lors abstraction d’une présence scénique véritablement royale, se limite un peu trop à l’usage raffiné d’une riche palette de couleurs vocales (voire des raucités, dans le grave), au détriment d’une véritable narration. Le drame le plus intense se passe en fait à l’orchestre, dont John Nelson obtient une succession d’effets tantôt subtils, tantôt grandioses, tantôt d’une modernité stupéfiante (la fin, lente agonie, toute en soubresauts des cordes graves). Donc un grand moment, mais où l’absence des mots nous tient un peu trop à distance.


Conclusion trépidante, mais pas endiablée, avec la « Grande fête chez Capulet » de Roméo et Juliette. John Nelson n’est pas Charles Munch, et ici l’orchestre n’est pas dionysiaque, et même paraît un rien lourd dans ses rebonds, mais c’était déjà le cas lors de l’exécution intégrale de l’œuvre il y a deux ans. Cela dit, l’essentiel y est, et la fête bat son plein avec une belle énergie, précédée par un très joli solo de hautbois. Et la fête, ce soir, c’était aussi de pouvoir retrouver une fois encore John Nelson à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg. Des partenaires qui ont pu, au fil des années, écrire ensemble quelques très belles pages de l’histoire de l’interprétation berliozienne.



Laurent Barthel

 

 

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