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Simon Boccanegra ou les affres du pouvoir Milano Teatro alla Scala 02/01/2024 - et 4*, 11, 14, 17, 21, 24 février 2024 Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra Luca Salsi (Simon Boccanegra), Ain Anger (Jacopo Fiesco), Roberto de Candia (Paolo Albiani), Andrea Pellegrini (Pietro), Eleonora Buratto*/Anita Hartig (Amelia/Maria), Charles Castronovo*/Matteo Lippi (Gabriele Adorno), Haiyang Guo (Capitano dei balestrieri), Laura Lolita Peresivana (Ancella di Amelia)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Lorenzo Viotti (direction musicale)
Daniele Abbado (mise en scène, décors), Angelo Linzalata (décors), Nanà Cecchi (costumes), Alessandro Carletti (lumières)
(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)
La Scala vient d’étrenner une nouvelle production de Simon Boccanegra, un opéra relativement peu connu de Giuseppe Verdi. Si la partie musicale et vocale du spectacle comble toutes les attentes ou presque, il n’en va pas de même de la mise en scène, qui n’offre guère d’intérêt. Daniele Abbado a opté pour une lecture minimaliste, dans des décors gris et pratiquement nus, avec seulement de grandes parois, un escalier monumental, quelques navires et des drapeaux en arrière‑plan ; par ailleurs, la direction d’acteurs est réduite à sa plus simple expression, avec les chanteurs le plus souvent les bras au ciel ou la main sur le cœur. Mais heureusement, la mise en scène ne gêne pas et permet de se concentrer entièrement sur la musique et les voix. Car Simon Boccanegra est l’un des plus beaux opéras du maître de Busseto.
L’ouvrage est créé en 1857 à Venise, récoltant juste un succès d’estime. A Milan, des représentations sont données deux ans plus tard mais se soldent par un échec, si bien que l’opéra disparaît pendant de nombreuses années. Verdi retravaille sa partition en profondeur, notamment avec Arrigo Boito, qui va réviser le livret. La représentation du 24 mars 1881 à la Scala consacre finalement la version définitive de Simon Boccanegra. Mais il faudra attendre 1965 pour que l’ouvrage entre durablement au répertoire du célèbre théâtre, sous la baguette de Gianandrea Gavazzeni, avant la version historique de 1971 signée par le tandem Claudio Abbado/Giorgio Strehler. Opéra sombre, complexe et au livret tortueux, ayant pour thème le pouvoir et ses affres, la solitude qu’il procure et les conflits entre clans, Simon Boccanegra relègue la soprano et le ténor à la portion congrue mais offre au baryton et à la basse des airs et des duos splendides, sans parler d’une grande scène de malédiction à couper le souffle. On le sait, Verdi était très impliqué dans l’histoire politique de son pays et on peut dire que Simon Boccanegra résume parfaitement ses convictions et ses espoirs de paix et d’union nationale.
Dans la fosse de la Scala, Lorenzo Viotti instaure, dès le Prélude, une atmosphère sombre et mystérieuse, presque crépusculaire, avec de longues phrases entrecoupées de silences, des couleurs mélancoliques et langoureuses qui vont ensuite alterner avec des pages galvanisantes et électrisantes, réussissant à maintenir la tension dramatique de bout en bout. Le jeune chef est particulièrement attentif aux chanteurs, leur donnant pratiquement toutes les entrées et chantant avec eux. Sa direction est pour beaucoup dans le succès du spectacle. La distribution vocale offre de nombreux motifs de satisfaction. En Simon Boccanegra, Luca Salsi incarne un doge de Gênes humain et émouvant plutôt qu’autoritaire et altier. Le baryton italien fait preuve d’un phrasé exemplaire et pare son chant de belles nuances, avec notamment de magnifiques pianissimi, quand bien même le timbre peut sembler uniforme, manquant quelque peu de couleurs. Malheureusement, il ne trouve pas en Ain Anger un partenaire pouvant faire jeu égal avec lui dans les confrontations entre les deux personnages car le timbre de la basse estonienne est souvent rugueux et le phrasé peu idiomatique. Eleonora Buratto campe une Amelia noble et touchante, particulièrement attachée à son père, avec parfois des aigus un peu forcés. Charles Castronovo confère élan et passion à Gabriele Adorno, avec de superbes accents juvéniles. Roberto de Candia est, lui, un Paolo des plus perfides et retors. Et comme toujours à la Scala, le chœur s’acquitte parfaitement de sa tâche dans un répertoire qui fait partie de son ADN.
Claudio Poloni
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