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Une entrée au répertoire réussie

Liège
Opéra royal de Wallonie
01/25/2024 -  et 27, 30 janvier, 2, 4* février 2024
Antonín Dvorák : Rusalka, opus 114, B. 203
Corinne Winters (Rusalka), Anton Rositskiy (Le Prince), Jana Kurucová (La Princesse étrangère), Evgeny Stavinsky (L’Ondin), Nino Surguladze (Jezibaba), Jiri Rajnis (Le garde forestier), Hongni Wu (Le garçon de cuisine), Lucie Kanková, Katerina Hebelková, Sofia Janelidze (Nymphes), Alexander Marev (Le chasseur)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, Denis Segond (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie-Liège, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
Rodula Gaitanou (mise en scène), Cordelia Chisholm (décors, costumes), Simon Corder (lumières), Dick Straker (vidéo), Gianni Santucci (chorégraphie)


(© ORW-Liège/Jonathan Berger)


Enfin du tchèque à l’Opéra royal de Wallonie ! Et enfin Rusalka (1901) ! Cet opéra n’y avait pas encore été monté : il s’agit presque d’une anomalie pour un ouvrage désormais bien installé au grand répertoire.


Collaborant pour la première fois avec la maison liégeoise, Rodula Gaitanou signe une mise en scène aux intentions pertinentes et claires, admirablement concrétisées. Elle respecte l’esprit du conte sans tomber dans les raccourcis ou les facilités. Les enfants, présents lors de la représentation, pourraient même ressentir une certaine déception, du moins être perturbés par un spectacle plutôt sombre, probablement conçu avant tout pour un public adulte, au contraire de La Flûte enchantée, en décembre, destiné à toute la famille. Cette mise en scène met habilement en opposition le monde des créatures marines avec celui des humains, grâce à une intelligente occupation de l’espace, entre horizontalité et verticalité, un effet notamment produit par l’escalier en colimaçon qui aurait d’ailleurs pu être encore mieux exploité. Elle tire sa force de la manière subtile et sensible avec laquelle elle conçoit le personnage de Rusalka pour traduire la solitude et l’errance de cet être courageux et sensible, confronté à la cruauté humaine.


La chorégraphie, plutôt banale, mais pas trop envahissante, ne constitue pas la composante la plus marquante de cette mise en scène, mais elle la complète, l’agrémente, même, sans laideur ni maladresse. La vidéo, quant à elle, suggère l’élément aquatique par touches délicates, d’un assez bel effet, tandis que les lumières, elles aussi bien imaginées, confèrent une intéressante identité visuelle, plutôt argentée, avec des teintes de bleu et de vert, à ce décor plutôt dépouillé, surtout dans un troisième acte esthétiquement remarquable. L’atelier de découpe de poissons, au début du deuxième acte, paraît en revanche bien prosaïque, voire trivial, mais cette idée n’amoindrit pas l’intérêt de cette scénographie.


L’Opéra royal de Wallonie a réuni une distribution de haut niveau, avec une grande artiste pour Rusalka, de surcroit bien entourée au sein de duos et d’ensembles harmonieux. Taillée vocalement, et même physiquement, pour le rôle‑titre, Corinne Winters délivre une incarnation puissante et touchante. Composant finement son personnage, elle privilégie la crédibilité au pur raffinement vocal, même si le chant, toujours au service de l’expression, affiche une maitrise incontestable, comme le prouve un Chant à la lune suffisamment limpide et évocateur. Anton Rositskiy convainc, lui aussi, en Prince, grâce à un timbre séduisant, plus encore que celui de la soprano, et à la justesse de la caractérisation, le ténor se hissant sans peine à la hauteur de sa partenaire. Jana Kurucová ne manque pas non plus d’impressionner en autoritaire Princesse, par sa voix corsée et tranchante.


Evgeny Stavinsky possède ce qu’il faut de grave pour l’Ondin, incarné avec prestance et sensibilité. La qualité de son chant ne s’arrête pas à la tessiture, la noblesse du phrasé constituant également un autre point fort. Voix relevée et puissante, Nino Surguladze délivre une saisissante composition en Jezibaba, en évitant de justesse de surjouer la sorcière. Jiri Rajnis et Hongni Wu caractérisent fort bien, non sans truculence, le Garde forestier et le Garçon de cuisine, tandis que Lucie Kanková, Katerina Hebelková et Sofia Janelidze forment un gracieux trio de nymphes. Alexander Marev a, enfin, trop peu à accomplir pour se démarquer vraiment.


Sous la direction compétente de Giampaolo Bisanti, l’orchestre exécute la musique de Dvorák avec justesse et précision, avec le ton, le rythme, la dynamique attendus, fruits d’un travail approfondi. Le chef veille à la continuité, aux contrastes, à l’intensité, au lyrisme, à la mise en valeur des motifs, autant de qualités de mise en place et d’expressivité à porter également à l’actif du chef de chœur, qui a su lui aussi motiver ses troupes.


Cette belle réussite, supérieure à la production de l’Opéra des Flandres il y a quelques années, apporte la preuve que l’Opéra royal de Wallonie a les moyens de monter plus souvent des opéras tchèques. Janácek, alors, c’est pour quand ?



Sébastien Foucart

 

 

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