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Le cercle s’ouvre

Bruxelles
La Monnaie
01/21/2024 -  et 24, 28, 31 janvier, 3, 6, 8, 11 février 2024
Richard Wagner : Die Walküre
Peter Wedd (Siegmund), Ante Jerkunica (Hunding), Gábor Bretz (Wotan), Nadja Stefanoff (Sieglinde), Ingela Brimberg (Brünnhilde), Marie-Nicole Lemieux (Fricka), Karen Vermeiren (Gerhilde), Tineke Van Ingelgem (Ortlinde), Polly Leech (Waltraute), Lotte Verstaen (Schwertleite), Katie Lowe (Helmwige), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Siegrune), Iris Van Wijnen (Grimgerde), Christel Loetzsch (Rossweisse)
Orchestre symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu (direction)
Romeo Castellucci (mise en scène, décors, costumes, lumières)


(© Monika Rittershaus)


Après un Or du Rhin fascinant, l’automne dernier, voici la première journée de L’Anneau du Nibelung, toujours dirigée par Alain Altinoglu et scénographiée par Romeo Castellucci. Ramenée à son essence, cette mise en scène de La Walkyrie (1876) prolonge, conceptuellement et esthétiquement, celle de L’Or du Rhin, dans une approche philosophique et poétique. Elle pousse encore plus loin le dépouillement, accuse les oppositions, dans une succession d’images – le plus souvent – fortes, voire fulgurantes, notamment à la fin de chaque acte, chacune d’une beauté stupéfiante et à l’impact émotionnel d’autant plus grand qu’elles paraissent – faussement – simples. Ne les dévoilons pas pour ceux qui auront la chance d’assister à une des représentations de ce spectacle annoncé sold out depuis quelques semaines.


Romeo Castellucci revisite en profondeur, mais sans radicalité, la mythologie wagnérienne. Les Walkyries apparaissent ainsi avec un bouclier et un casque à pointe stylisés, chacune accompagnée d’un cheval noir portant le corps des soldats morts. Voilà une interprétation qui peut paraître, sur le papier, bien littérale, mais le rendu visuel ne manque pas de séduire. Cette mise en scène, dépourvue de toute provocation gratuite, dotée, même, de tous les attributs d’un futur classique, privilégie ainsi l’allégorie, la symbolique – l’eau, la terre, le feu, le sang, les fleurs, l’anneau, le chien noir, les colombes, en autres – dans une opposition magnifique entre le blanc, le rouge et le noir, la couleur dominante.


Dans cette scénographie, dont la simplicité peut décevoir, le sentiment d’évidence et de justesse précède la compréhension du sens. Il vaut la peine de solliciter ses méninges, et surtout sa sensibilité, pour apprécier cette mise en scène sophistiquée, mais plutôt limpide, même si nous peinons un peu à comprendre, au premier acte, la présence d’un frigo dans lequel se trouve l’épée, au milieu de tous ces vieux meubles sombres et massifs qui se déplacent. Là où réside, aussi, la force du spectacle, c’est dans la manière avec laquelle Romeo Castellucci concilie, dans un geste, à la fois, théâtral et esthétique puissant, la pure beauté avec la grande cruauté. Il suffit d’observer la direction d’acteur qui sous‑tend les interactions entre les personnages, en particulier entre Wotan et Brünnhilde, entre Siegmund et Sieglinde, pour se rendre compte que Romeo Castellucci est bien plus qu’un plasticien. Le metteur en scène continue à diviser, pour des raisons qui ne nous paraissent pas toujours fondées, mais il est vain de vouloir trouver dans cette mise en scène la moindre provocation gratuite, de lui reprocher ses égarements, à moins de faire preuve de malhonnêteté ou de mauvaise foi.


Cette représentation laisse la même impression que pour L’Or du Rhin, celle d’une production longuement et mûrement réfléchie, servie par des chanteurs compétents et investis. Ces derniers sont censés, jusqu’au terme de la Tétralogie, en 2025, incarner les mêmes rôles, dans un louable souci de cohérence et de continuité, ce qui rassure pour les deux autres volets la saison prochaine. Le programme précise que la Monnaie a recherché une forte complémentarité entre les interprètes de Siegmund et de Sieglinde – en plus, probablement, d’une certaine expérience dans ces deux rôles – afin de facilité l’osmose entre le frère et la sœur. Force est de reconnaître la compatibilité qui s’établit naturellement entre Peter Wedd et Nadja Stefanoff qui chantent pour la première fois sur cette scène. Ce ténor ne possède pas une voix particulièrement lumineuse et puissante, mais le chant exprime remarquablement l’évolution psychologique du personnage, de la fragilité à la vaillance, avec une excellente tenue de phrasé, tandis que l’incarnation témoigne de grandes aptitudes dramatiques. La voix de Nadja Stefanoff, qui a aussi interprété ce personnage dans d’autres salles, présente une réelle facilité dans le medium, trace de ses débuts naguère en tant que mezzo-soprano. La chanteuse surpasse même un peu son partenaire, en raison d’une meilleure adéquation entre le potentiel de la voix et l’exigence du rôle, une plus grande ampleur, un timbre plus riche et expressif.


Le profil de cette soprano diffère de celui d’Ingela Brimberg, la Brünnhilde pour les trois journées. Un choix heureux : pour ce rôle redoutable, la chanteuse possède, de toute évidence, la voix qui convient, solide, tranchante, expressive, quasiment infaillible, avec des aigus pleinement assurés, en plus d’afficher une présence marquée, ce qui aboutit à une incarnation non seulement intense mais aussi émouvante. L’interprète semble privilégier la puissance de l’incarnation au pur raffinement mais elle se montre apte à la nuance dans les passages plus intimistes, une qualité qu’elle mettra probablement aussi en avant dans les deux autres opéras du cycle. L’émotion nous gagne au troisième acte, dans le long duo avec le Wotan de Gábor Bretz. Sa prestation dans L’Or du Rhin révélait chez ce baryton, qui aborde ce rôle pour la première fois, une voix caractérisée par un grave et une puissance relativement limités. La Walkyrie confirme un interprète de grande classe, capable de rendre avec prestance et sensibilité toute la complexité psychologique de ce rôle – chant peaufiné, nuancé, au plus près des mots, avec d’incontestables qualités de phrasé et d’éloquence. Le chanteur hongrois réussit donc cette prise de rôle haut la main. La Monnaie a certainement pris un risque important en confiant Wotan à un interprète qui ne l’avait encore jamais chanté, mais le résultat, malgré le souvenir laissé par nombre d’immenses interprètes, se hisse, sans conteste, à la hauteur de nos attentes.


Sans surprise, en revanche, Ante Jerkunica, admirable en Fasolt, incarne, avec toute la gravité et la présence inquiétante dont il se montre coutumier, un Hunding terrifiant mais aussi charismatique. Marie‑Nicole Lemieux retrouve, quant à elle, le personnage de Fricka, si admirablement campé dans le prologue. La mezzo-soprano parvient à habiter son rôle avec tellement de force et de crédibilité que sa prestation affiche une beauté et une perfection presque insensées, alliage idéal d’expressivité et de ma$itrise. Impossible, enfin, de préférer une Walkyrie à une autre : Karen Vermeiren, Tineke Van Ingelgem, Polly Leech, Lotte Verstaen, Katie Lowe, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Iris Van Wijnen et Christel Loetzsch forment un ensemble somptueux.


Il y a lieu de s’attarder aussi sur la splendide prestation de l’orchestre, un véritable accomplissement, tant pour les musiciens, qui se surpassent, que pour Alain Altinoglu, manifestement habité par cette musique géniale. Tous sont même ovationnés avant d’entamer le troisième acte, marque de reconnaissance vraiment justifiée. Cette partition monumentale permet d’apprécier le savoir‑faire de tous les pupitres, et il faut reconnaître que les cordes, capables autant de finesse que de souplesse, les cuivres, toujours éloquents, et plus encore les bois, d’une précision et d’une justesse quasiment parfaites, dispensent plus d’un moment de grâce.


Le chef obtient de nouveau de belles sonorités ainsi qu’un jeu précis. Il privilégie la continuité, la narration, la mise en valeur des motifs, mais également, et ceci constitue une confirmation, la transparence. Ce mélange de fermeté et de finesse sur lequel repose cette exécution ne porte aucunement préjudice – bien au contraire – à la teneur expressive et dramatique de cette musique. Notre appréciation des plus favorables rejoint donc celle formulée pour L’Or du Rhin, et tout porte à croire que l’orchestre et le chef poursuivront dans cette lancée, ce qui promet de formidables Siegfried et Crépuscule des dieux. A l’issue de ce grand moment d’émotion artistique, le public accorde à tous, en particulier au chef, et même au metteur en scène, un accueil triomphal.



Sébastien Foucart

 

 

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