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L'autel du libre-échange

Bordeaux
Grand-Théâtre
05/03/2002 -  et 5, 7, 10, 13, 17 mai 2003
Wolfgang-Amadeus Mozart : Così fan tutte, ossia la Scuola degli Amanti, K. 588
Mireille Delunsch (Fiordiligi), Delphine Haidan (Dorabella), Danielle Borst (Despina), Marc Barrard (Guglielmo), Gilles Ragon (Ferrando), Vincent Le Texier (Don Alfonso)
Chœurs et Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Yutaka Sado (direction)
Emmanuelle Bastet (mise en scène)

Rarement sous-titre opératique aura ainsi pris tout sons sens, et joué un rôle prédominant : Così fan tutte, ossia la scuola degli amanti... « Opera buffa » ? Dramma giocoso, plutôt - ou drame tout court ! Le dernier opus de la trilogie « dapontienne », sur le douloureux exercice de l'amour, est peut-être la partition la plus tragique de Mozart - la plus amère, la plus cruelle. D'ailleurs, la mise en scène discrète, sobre, d'Emmanuelle Bastet privilégie de bout en bout cette dimension dramatique - même les éléments burlesques la confortent, l'amplifient, surenchérissent sur elle. Pessimisme absolu quant à la nature humaine - la fausseté des sentiments, la fidélité comme concept chimérique, la vanité des serments échangés... Così est un opéra sur la manipulation des coeurs, la destruction de la pureté et de l'innocence (thème « britténien » avant l'heure) - et sur la fragilité du bonheur humain.


Drame, voire enquête psychologique, dans lequel Mozart avant un autre génie, Stanley Kubrick (avec Eyes wide shut), dissèque au scalpel la relation, et la mise à l'épreuve, de la fidélité de deux couples ; sur la base d'un pari dangereux. Un vieux Don Giovanni, pervers, caustique et cynique, propose à deux jeunes gens, naïfs et trop sûrs d'eux, d'expérimenter la constance de leurs belles donzelles... à leurs risques et périls ! Chacun séduira la fiancée de l'autre : libre-échangisme, jeux interdits, manoeuvres dolosives. C'est de l'escroquerie, de l'extorsion de sentiments, de l'abus de confiance !


Vrais-faux-amants, imposture, complot, trahison, machination, tromperie (comme dans « Quando le sere al placido » de Luisa Miller ?) : Così décline tous ces paramètres ; et tient de L'Éducation sentimentale, des Liaisons Dangereuses - et de l'Oeuvre tout entier de Molière... C'est une sordide plaisanterie qui dégénère ; et malgré la gaîté factice du Finale, le mal est fait, le venin distillé. Derrière le mensonge du travestissement, la vérité crue des sentiments est apparue entre les faux amants. Moralité : Don Alfonso et l'entremetteuse Despina ont gagné le pari.


Un moment-clé presqu'insoutenable résume cette conception, retenue par la scénographie: lorsque Fiordiligi se lance dans son périlleux Rondo de l'Acte II ; instant d'introspection, lamento méditatif, dans lequel elle cherche à juguler son attraction fatale pour le beau Ferrando. L'on y devine, par une fenêtre éclairée, son amant attitré (Guglielmo), consommant frénétiquement son amour avec la pulpeuse Dorabella. Pour cette comédie désespérée, ce marivaudage sombre, les acteurs-chanteurs doivent relever un défi redoutable, tant vocal que scénique, et restituer l'ambivalence, l'ambiguïté - deux éléments constitutifs de ce monument mozartien.


Annoncée souffrante, Mireille Delunsch - déjà magnifique Elvire blessée in loco en 1997 -, triomphe de la tessiture assassine de Fiordiligi : elle dessine un être fragile, pris au piège d'un amour coupable. Le « Per pietà, ben mio » devient Prière, Supplique de ne point céder à la Tentation - une lutte intérieure avec son Démon ; c'est déjà l'air génialissime de Vitellia, « Non più di fiori » de La Clemenza di Tito, que l'on entend ici... avec un timbre moelleux, « flemingien ». Comment ne pas craquer devant les appâts de Delphine Haidan, solide Dorabella ? Exquis contraltino qui aurait un grave opulent, qui rappelle Jennifer Larmore à son sommet ; fruit juteux que l'on saisit pour le croquer à belles dents : « Bella figlia dell'Amore »...



Hélas ! Despina a beau ressortir au genre ancillaire, il lui appartient de ne point confondre vulgarité avec rouerie. En outre, Danielle Borst piétine allègrement les règles du chant mozartien, avec son timbre acide ; et surtout une totale inadéquation stylistique et technique. Despina est une gourgandine, une sorte de Marquise de Merteuil - perverse et diabolique ; pas une bécasse de faubourg ! Quant aux hommes : à part les robustes Marc Barrard (Guglielmo) et Vincent Le Texier (Don Alfonso), force est de déplorer le Ferrando exsangue de Gilles Ragon ; tenorino à l'émission forcée, évitant de justesse l’accident dans « Un' aura amorosa ».


D'ailleurs, on ne lui fera pas chanter (faut-il s'en plaindre ?) le miraculeux « Ah ! Lo veggio, quest'anima bella » posté en embuscade avant le « Per pietà » fiordiligien. Un mot enfin sur la direction « chambriste » de Yutaka Sado : même s'il semble parfois chercher ses marques dans les ensembles concertants des deux Finales, c'est un péché véniel. Son approche limpide, sensible et poétique, est un salutaire faisceau de lumière, embrasant le phrasé mozartien de ce faux divertissement : un Così très enlevé ; un fabuleux pervertimento.



Etienne Müller

 

 

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