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Pour le violon

Strasbourg
Palais de la Musique
12/07/2023 -  
Johannes Brahms : Concerto pour violon en ré majeur, opus 77
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 10 en mi mineur, opus 93

Augustin Hadelich (violon)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Krzysztof Urbanski (direction)


A. Hadelich, K. Urbanski (© David Amiot)


L’activité discographique du violoniste germano-américain Augustin Hadelich a commencé tôt, puisqu’on en retrouve la trace dès 1996, sur un CD enregistré à Lucerne : un Concerto pour violon RV 581 de Vivaldi, sous la direction de Rudolf Baumgartner, difficile à dénicher, mais qui mérite déjà le détour. Hadelich n’avait alors, eh oui, que 12 ans (!). Une carrière d’adolescent prodige, puis de jeune violoniste prometteur, à laquelle un contrat signé avec Warner, après avoir décroché en 2015 le Warner Music Prize, a donné encore davantage de lustre. En a découlé une belle série d’enregistrements (Bach et Paganini au violon seul, de notables concertos de Brahms et Sibelius, mais surtout de superbes concertos modernes, de Britten, Ligeti, Adès, Dutilleux...) et puis cet essor s’est retrouvé malheureusement amorti par la pandémie, d’où une notoriété européenne, et en particulier française, encore trop discrète.


Personnellement, on avait pu remarquer Augustin Hadelich lors d’un concert à Baden‑Baden, en 2019, où il paraissait cependant un peu éclipsé par sa collègue Julia Fischer, autre surdouée. Et puis, on l’avait tout simplement perdu de vue. Les retrouvailles n’en sont que plus saisissantes : vraiment un violoniste qui compte dans le paysage actuel, même s’il ne fait aucun étalage complaisant d’une sonorité opulente, cette marque de fabrique des recrues de la Juilliard School, établissement par lequel, pourtant, il est lui aussi passé. Son Concerto de Brahms ne met jamais l’accent sur une virtuosité démonstrative mais tout y est invariablement tenu, maîtrisé, chanté, avec une tranquille assurance. Techniquement l’exploit est impressionnant, d’une justesse à toute épreuve, mais surtout c’est la musicalité du résultat qui emporte l’adhésion. Un remarquable travail d’architecte, au service de l’un des concertos effectivement les plus « construits » du répertoire. Et que dans cette optique où tout découle de tout, Hadelich ait ressenti de surcroît le besoin d’écrire sa propre cadence, qui exploite le matériel thématique du premier mouvement avec une exceptionnelle pertinence dans les enchaînements, n’est vraiment pas étonnant. Lyrisme contrôlé, d’une élégance jamais affectée, au cours de l’Adagio, et des élans tsiganes jamais vulgaires dans l’Allegro giocoso final: l’intégralité du parcours est exemplaire. Et on note au passage qu’Hadelich joue aujourd’hui un violon, le Guarneri del Gesù dit « Leduc », de 1744, qui a appartenu naguère à Henryk Szeryng. Davantage qu’une coïncidence, une sorte d’évidente filiation.


L’écrin orchestral pourrait être en revanche d’un meilleur niveau. Krzysztof Urbanski se met entièrement au service de son soliste d’un soir, en tentant de cultiver davantage des ambiances d’un romantisme adouci que des gestes interprétatifs très marqués. Une conception défendable mais qui nécessiterait un orchestre techniquement plus distingué, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg péchant par un relatif débraillé des cuivres et de la petite harmonie. Chaque entrée collective fait sursauter par son manque de discrétion, voire ses flottements, comme autant de grumeaux surnageant tout à coup par‑dessus les cordes, au lieu d’essayer de se fondre dedans. Des points de détail, mais qui dans ce répertoire‑là ont une importance stratégique.


Que jouer en bis après le Concerto pour violon de Brahms ? En fait, assez souvent, rien, le soliste pouvant juger qu’au vu de la richesse de la pièce proposée, il peut s’en tenir là. Augustin Hadelich, lui, préfère donner dans le récréatif, avec non pas un bis mais deux. Des pièces insolites, voire de genre, mais qu’il investit avec tant d’élégance, et toujours cette impeccable justesse d’accords calibrés au comma près, qu’il les hisse au plus niveau. D’abord l’épatant Wild Fiddler’s Rag, morceau de parade du défunt violoniste country américain Howdy Forrester, et puis le tango Por una cabeza de Carlos Gardel.



Seconde partie de concert en revanche bien trop neutre, avec une Dixième Symphonie de Chostakovitch qui devrait susciter beaucoup d’adjectifs, mais certainement pas celui‑là. Krzysztof Urbanski connaît bien cette œuvre, qu’il dirige sans partition, mais on a du mal à comprendre ce qu’il essaie d’y mettre en avant, hormis la course à l’abîme de l’Allegro et la jubilation finale du quatrième mouvement, à chaque fois plutôt réussis, mais sans véritable folie non plus. Le chef polonais a une tenue un peu particulière sur le podium, sorte de danse insistante qui sollicite beaucoup les mollets et les chevilles, et une gestique enveloppante qui tente de suggérer des atmosphères mais reste relativement déconnectée de ce que l’on entend réellement : un discours un peu atone, dont les intentions restent nébuleuses. Dans les mouvement impairs, où les soli instrumentaux jouent un rôle prépondérant, on ne peut que déplorer que les musiciens paraissent à ce point livrés à eux‑mêmes, certains, comme Sébastien Koebel à la clarinette ou Jean‑Christophe Dassonville au basson, trouvant d’emblée le ton juste, d’autres paraissant plus indécis et neutres, faute d’être davantage épaulés. Dans le Moderato initial, le premier grand solo de flûte ne peut pas instaurer le bon climat à lui tout seul, s’il n’est pas davantage soutenu, et l’effet de désolation produit par les deux petites flûtes juste avant la conclusion peut difficilement fonctionner s’il n’est pas mieux préparé. Manquent vraiment l’anticipation, puis le coup de projecteur stratégique, qui vont potentialiser ce genre d’effet. Or, dans cette impression de discours décousu, c’est bien en premier lieu le manque de projet déterminant du chef qui nous paraît à incriminer.



Laurent Barthel

 

 

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