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Schubert revisité

Strasbourg
Palais de la musique
12/01/2023 -  
Richard Strauss : Concerto pour hautbois et petit orchestre en ré majeur
Franz Schubert : Symphonie n° 9 en ut majeur, D. 944

Sébastien Giot (hautbois)
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Claus Peter Flor (direction)


C. P. Flor (© Grégory Massat)


C’est toujours le grand répertoire allemand que Claus Peter Flor est invité à diriger à Strasbourg, et à juste titre, compte tenu de son expertise en ce domaine. Un savoir‑faire particulièrement appréciable quand il s’agit d’animer les divines longueurs de la Neuvième Symphonie de Schubert.


Difficile de cerner cet ouvrage, aussi intimidant pour un orchestre que peut l’être, pour un pianiste, la Wanderer-Fantasie, où Schubert sature les portées sans guère se préoccuper d’intendance. A l’interprète de se poser les bonnes questions, de se débrouiller pour faire le tour du massif sans s’épuiser les doigts en route, et sans lasser non plus son auditoire à force de marteler des accords. Pour venir à bout de l’intarissable jaillissement mélodique, au gré d’une marche inexorable, quatre mouvements durant, de la « grande » et ultime symphonie de Schubert, c’est bien la même préméditation qui est indispensable, sous peine d’un résultat indigeste. Et là, l’expérience d’un chef chevronné s’avère évidemment primordiale.


Comment décider à chaque instant, dans cette symphonie, de ce qui doit être perçu prioritairement, en provenance d’une masse sonore fortement saturée à tous les étages ? Un problème qui se pose encore davantage avec des instruments modernes, d’où ici la pertinence de certaines propositions « à l’ancienne » (cordes en boyau, vents plus acides et donc d’un plus grand relief, etc.). Ces enjeux d’équilibre sont tellement cruciaux qu’on peut aussi être tenté de les contourner par des stratagèmes : réduire le nombre de cordes, ou encore doubler les vents, par quatre, etc. Ce soir, la proposition de Claus Peter Flor respecte l’effectif habituel, mais modifie radicalement la géographie. Les cuivres restent au fond, mais la petite harmonie se retrouve placée juste devant le chef, alignée en demi‑cercle, donc devant les cordes. Le leader devient, de facto, le premier hautbois, et l’ensemble sonne d’une façon différente, comme si Schubert s’était souvenu là, tout à coup, de la Gran Partita de Mozart.


Bref on assiste plutôt à une Symphonie concertante pour vents, et l’effet est grisant. D’abord bien sûr, parce qu’on entend des lignes d’habitude à peine perceptibles, en particulier celles des bassons, mais surtout parce que l’ensemble devient plus agreste, moins monumental. Plus du tout une cathédrale pré‑brucknérienne mais au contraire une promenade, tantôt joyeuse, tantôt mélancolique, où le paysage change continuellement. Ce qui rend aussi les nombreuses reprises (Flor les fait presque toutes) plus pertinentes, la nouveauté de l’approche justifiant largement qu’on répète la plupart des passages pour mieux en goûter les saveurs.


Bref on ne s’ennuie jamais, mais aussi parce que Flor allège beaucoup, relance continuellement, grâce à des tempi toujours vifs, mais aussi une vraie souplesse de battue, à mains nues, qui impose moins des carrures qu’une sorte d’impalpable « tactus ». De l’art de stimuler un orchestre tout en le laissant jouer à l’aise : une véritable leçon ! Et quand il faut vraiment reprendre la main, monter le formidable crescendo de l’Andante con moto, jusqu’à la déflagration d’un triple forte, là, Flor reprend le contrôle d’une poigne de fer. Le moment est vertigineux, malheureusement enlaidi par la sonnerie, quelque part dans la salle, d’un téléphone portable dont on vouerait volontiers le propriétaire aux gémonies.


Pour en terminer avec cette affaire de géographie particulière : la primauté de l’idée d’une telle disposition des pupitres dans la Neuvième Symphonie de Schubert revient à Iván Fischer, qui l’avait testée notamment avec les Berliner Philharmoniker, en décembre 2018. On sait Iván Fischer friand de ce genre de tentative inédite (on se souvient aussi d’un étonnant Requiem de Mozart à Baden‑Baden, en mai 2016, avec tous les choristes plantés, un par un, entre les instrumentistes), cela dit, pour Schubert, les Berlinois n’avaient pas unanimement apprécié l’expérience. Pourtant, en apparence, elle était très probante, du moins si l’on en juge par la captation de ce concert, visible dans son intégralité sur le Digital Concert Hall des Berliner Philharmoniker. A Strasbourg, différence notable, les deux cors sont restés au fond, alors qu’à Berlin ils étaient placés juste derrière la petite harmonie, au cœur même de l’orchestre, avec pour résultat un début de symphonie d’emblée magique. Dommage que l’effet n’ait pas pu être réitéré. Cela dit, pour autant qu’il soit possible de comparer, Claus Peter Flor nous paraît obtenir, grâce à ces équilibres modifiés, davantage de perspectives intéressantes qu’Iván Fischer, notablement plus raide dans son sens de l’avancée.


A symphonie longue, concerto de première partie volontiers court. Et ici le rare Concerto pour hautbois de Richard Strauss constitue une judicieuse entrée en matière. On trouve dans l’un des petits carnets d’esquisses que Strauss gardait toujours à portée de main cette bienveillante inscription : « Concerto pour hautbois/1945/suggéré par un soldat américain (un hautboïste de Chicago) ». Une allusion aux plusieurs visites rendues au compositeur, en mai 1945, dans sa villa de Garmisch, par le jeune John de Lancie, alors officier de renseignement militaire détaché en Allemagne. Des conversations amicales, au cours desquelles de Lancie, certes engagé dans l’armée américaine, mais aussi hautboïste de talent, avait assez naturellement demandé à Strauss s’il avait déjà songé à écrire un concerto pour hautbois, lui qui avait naguère écrit de si beaux solos pour l’instrument, dans Don Juan, Don Quichotte, ou encore la Sinfonia Domestica. La réponse du compositeur fut négative, mais l’idée fit son chemin, et six mois après, le Concerto pour hautbois et petit orchestre était terminé. Quant à de Lancie, s’il n’a pas pu créer ce concerto, il l’a effectivement enregistré plus tard, à Philadelphie, sous la direction d’Eugene Ormandy : un beau témoignage, d’une prégnante mélancolie, où les sonorités adoucies, aux couleurs automnales et patinées, de celui qui était devenu entre‑temps l’un des plus prestigieux hautboïstes américains, font merveille.


Début juillet 1945, Strauss écrivait déjà à son ami Willy Schuh : « Un concerto pour hautbois avec petit orchestre est en train d’être fabriqué dans mon atelier de vieillard ». Tout est dit : une œuvre écrite au fil de la plume, mais riche de l’expérience acquise au cours de toute une vie. Et pour les hautboïstes un cadeau empoisonné, car ce concerto, s’il requiert une véritable agilité, exige surtout que la ligne du soliste y chante avec autant de naturel qu’un véritable soprano lyrique, ce qui, vu les contingences d’un instrument à anche, est tout sauf évident.


L’œuvre requiert donc de grandes pointures. François Leleux, prévu pour ce concert, appartenant à cette catégorie, on ne se faisait guère de souci, mais, suite à une annulation pour raison de santé, c’est finalement à Sébastien Giot, premier hautbois de l’orchestre, qu’a incombé la tâche difficile de le remplacer au pied levé. Une belle performance, surtout avec à peine un peu plus de 48 heures de délai pour remettre la partition sur le métier, mais qui met aussi très bien en évidence tout ce qui dans ce concerto peut s’avérer dangereusement vétilleux. Le legato des doubles croches, à rendre impeccablement fluide et lisible, la ligne mélodique à garder continuellement expressive, avec de voluptueux aigus très « straussiens » dont il faut nourrir et varier l’intensité sur la durée, des nuances à respecter à la lettre, dont la stratégique reprise du thème initial, à vraiment marquer piano, les cadences, sur lesquelles le soliste arrive en trombe, et qu’il faut se garder d’écorner au passage : tout un cahier des charges, ici parfaitement compris, mais pas transcendé. Et la couleur même de l’instrument, garde une spécificité qui conviendrait manifestement mieux à Jacques Ibert ou à Jean Françaix qu’à Richard Strauss. L’alternance avec les séquences où le soliste se tait, et auxquelles le chef confère, lui, l’exacte ambiance requise, à la fois légère et mélancolique, tourne de ce fait à une succession de trop brusques changements de climat. Une fusion plus évidente s’installe au cours de l’Andante, dont le cantabile moins tendu permet d’instaurer plus durablement la poésie adéquate : le meilleur moment de ce défi, accepté courageusement à la dernière minute, ce qui a permis de maintenir au programme, dans des conditions plus que décentes, un concerto attachant.



Laurent Barthel

 

 

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