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Stradella revisité par Sciarrino Paris Maison de la radio et de la musique 12/01/2023 - Igor Stravinsky : Monumentum pro Gesualdo di Venosa ad CD annum – L’Oiseau de feu
Salvatore Sciarrino : Love & Fury (Songbook from Stradella) (création) Barbara Hannigan (soprano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Pablo Heras‑Casado (direction)
(© Harmonia mundi/Javier Salas)
Huit ans avant de se passionner pour Hugo Wolf, Igor Stravinsky (1882-1971) jetait son dévolu sur Carlo Gesualdo avec Monumentum pro Gesualdo da Venosa ad CD annum (1960). « Je n’ai pas modifié le rythme ni ajouté d’autres éléments de développement dans le deuxième et troisième madrigaux », concède notre Vénitien d’adoption qui fait dialoguer les différents pupitres – comme autant de cori spezzati – quand il ne recherche pas la fusion des timbres. L’enregistrement du compositeur (Sony) laissait un souvenir de grisaille que l’interprétation brillante des membres du Philharmonique de Radio France a dissipé.
Le prince assassin n’a pas non plus laissé indifférent Salvatore Sciarrino (né en 1947), qui lui consacra un opéra en 1998, Luci mie traditrici. Encore plus fnueste est la destinée d’Antonio Stradella (1643‑1682) : après une existence errante et une vocation tardive, il finit, âgé de quarante‑deux ans, suriné à Gênes pour des raisons encore obscures. Son œuvre, ample et variée, reste en grande partie à découvrir, mais sa vie enflamma rapidement l’imaginaire des romantiques, jusqu’à susciter un opéra à Flotow, Niedermeyer et au jeune César Franck. Dans Love & Fury (Songbook from Stradella), Sciarrino prétend qu’« éclairer d’une lumière différente les œuvres anciennes s’avère enrichissant ». Il y a deux sources principales : l’opéra Moro per amore (1681) et l’oratorio San Giovanni Battista (1675), plus connu. Le Sicilien a bien capté l’essence du style capricant de Stradella où les numéros, ramassés, oscillent entre aria, arioso et récitatif. Son talent d’orchestrateur fait le reste, qui s’emploie (s’amuse ? : l’humour perce à chaque mesure) à envelopper la voix d’une subtile Klangfarbenmelodie dans les lamentos, réservant les percussions aux numéros pittoresques et les fusées des cordes aux arias di furore. Si les doublures et les combinaisons instrumentales placent cette musique à une époque indéterminée, leur originalité la situe au‑delà du simple tribut au genre du pastiche. La déception vient de la dédicataire, Barbara Hannigan, dont le mince filet de voix peine à répondre aux exigences de la partition. On aurait aimé moins d’univocité dans l’expression, davantage de coloration des vocalises où les minauderies suppléent aux carences d’un timbre qui a singulièrement perdu de sa pulpe. D’autant que Pablo Heras‑Casado pourrait ajuster son geste aux différents caractères des neuf numéros.
Il y a des hauts et des bas dans sa direction de L’Oiseau de feu, joué dans sa version de 1910 – la plus audacieuse et originale (dans tous les sens du terme). Le début ne dégage aucun mystère ; l’ultime accord, noté pianissimo subito, commence beaucoup trop fort. Entre les deux – les intermittences de la muse du jeune Stravinsky prises en considération –, il y a heureusement de fort belles choses au gré de ces quarante‑cinq minutes inégales. On se surprend à penser, compte tenu des nombreuses échappées solistes, à l’esprit du concerto pour orchestre, n’était l’idéal collectif qui transcende les individualités du Philhar. Citons le violon vibrant de Nathan Mierdl, le basson opiacé de Jean‑François Duquesnoy et la virtuosité collégiale des cuivres (auxquels l’acoustique assez sèche du Grand Auditorium ne fait pourtant pas de cadeau) dans la « Danse infernale du roi Kastcheï ». Partisan de la ligne claire, Heras‑Casado consent à lâcher un peu la bride en cours d’exécution, ce qui nous vaut d’enivrantes et voluptueuses envolées des cordes et une petite harmonie en majesté.
Jérémie Bigorie
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