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Mille et une nuits parisiennes Vienna Konzerthaus 11/17/2023 - Maurice Ravel : Shéhérazade
Camille Saint‑Saëns : Concerto pour piano n° 5, opus 103
Igor Stravinsky : L’Oiseau de Feu (version 1910) Alexandre Kantorow (piano)
Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (direction)
K. Mäkelä (© Igor Ripak)
Le concert débute avec l’ouverture féerique Shéhérazade de Ravel, première œuvre orchestrale d’un compositeur alors âgé de 24 ans, et de fait une rareté qui n’a été publiée qu’en 1975. Bien que la patte de l’orchestrateur de génie soit reconnaissable, l’ensemble donne une impression plus décousue que véritablement kaléidoscopique, et qui, malgré l’application des interprètes, décontenance quelque peu le public viennois. Saluons en tout cas cette audacieuse initiative musicologique, qui permet de mieux apprécier les influences de l’école russe sur Ravel tout en renforçant la cohérence avec la seconde partie du programme.
L’interprétation du concerto pour piano de Saint‑Saëns suscite en comparaison un enthousiasme plus débridé. Alexandre Kantorow y déploie une vision fraîche et spontanée, illuminant les vastes arches de romantisme avec des fulgurances, en total accord avec l’accompagnement de Klaus Mäkelä. L’inventivité sonore atteint son sommet dans un deuxième mouvement rhapsodique emmenant l’audience dans des contrées lointaines où le piano semble par moment se transmuter en une sorte de cymbalum folklorique. L’interprétation de Kantorow transcende les conventions et les notions d’académisme souvent associées à l’œuvre de Saint‑Saëns, permettant de mettre en lumière les audaces de ce compositeur injustement sous‑estimé.
Alexandre Kantorow a lancé un malicieux défi à l’orchestre, lorsqu’il conclut ses bis par une version pour piano de L’Oiseau de feu. Ce défi est brillamment relevé par Klaus Mäkelä et son Orchestre de Paris. Rarement l’œuvre a été aussi ensoleillée, lyrique, mélodieuse et envoûtante, sans rien perdre de sa logique rythmique implacable. La pulsation est relancée avec une élasticité extraordinaire, renouant avec à l’esprit original de ballet. Si la teneur générale est plutôt contemplative avec des tempi retenus, les contrastes sont dosés avec une intelligence fulgurante, offrant des éclairs sonores éblouissants et des moments de cavalcades fantastiques. L’orchestre, en pleine confiance, offre une prestation exceptionnelle, notamment grâce à des pupitres de vents à toute épreuve.
La maturité artistique de Klaus Mäkelä est extraordinaire, le plaçant bien au‑dessus de la masse des chefs de la nouvelle génération souvent plus poussés par le marketing que par une véritable conscience artistique. Son approche intelligente et approfondie, une capacité à écouter et à laisser jouer ses musiciens, sont combinées à une gestique déjà riche et personnelle qui sait inspirer l’orchestre. L’enthousiasme du public à la fin du concert était amplement mérité.
Dimitri Finker
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