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Rutilance sonore Zurich Opernhaus 11/05/2023 - et 9, 12*, 18, 24 novembre, 3 décembre 2023, 9, 26 mai 2024 Richard Wagner : Götterdämmerung Klaus Florian Vogt (Siegfried), Daniel Schmutzhard (Gunther), Christopher Purves (Alberich), David Leigh (Hagen), Camilla Nylund (Brünnhilde), Lauren Fagan (Gutrune), Sarah Ferede (Waltraute), Freya Apffelstaedt (Erste Norn), Lena Sutor‑Wernich (Zweite Norn), Giselle Allen (Dritte Norn), Uliana Alexyuk (Woglinde), Niamh O’Sullivan (Wellgunde), Siena Licht Miller (Flosshilde)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Philharmonia Zürich, Gianandrea Noseda (direction musicale)
Andreas Homoki (mise en scène), Christian Schmidt (décors), Florian Schaaf (assistant aux décors), Tieni Burkhalter (vidéo), Franck Evin (lumières), Werner Hintze, Beate Breidenbach (dramaturgie)
(© Monika Rittershaus)
La nouvelle production zurichoise du Crépuscule des dieux vient mettre un terme à la Tétralogie de l’Opernhaus, entamée en avril 2022. Le Walhalla est la proie des flammes, le Rhin déborde de son lit et l’univers des dieux s’écroule. Le dispositif scénique de cette dernière journée du Ring wagnérien est le même que pour les parties précédentes (L’Or du Rhin, La Walkyrie et Siegfried) : le plateau n’arrête pas de tourner sur lui‑même, avec pour décor les grandes parois blanches d’une vaste demeure bourgeoise, avec ses nombreuses portes et fenêtres, le tout baigné par des lumières blafardes, à la notable différence près que les murs sont cette fois passablement défraîchis. Car le temps a passé et les dieux sont fatigués. Pour le reste, la mise en scène d’Andreas Homoki – par ailleurs directeur de l’Opernhaus – n’a rien perdu de sa simplicité ni de sa force d’évocation. Pas de considérations ni d’élucubrations historico-politico-philosophiques ici, mais tout une histoire racontée à la lettre, tout simplement. Dès la première scène du reste, puisque les Nornes tissant les fils du destin ont effectivement une pelote dans la main. Un parti pris des plus classiques mais qu’on savoure sans modération, à l’heure où tant de mises en scène tarabiscotées détournent le public de l’opéra. En outre, le décor est dépouillé à l’extrême, avec seulement une poignée d’accessoires : le rocher de Brünnhilde, des lits pour le couple d’amoureux Brünnhilde/Siegfried ainsi pour les Filles du Rhin et un énorme frêne, dans lequel Wotan a taillé sa lance. Les protagonistes sont dirigés au cordeau, avec un soin particulier apporté à la caractérisation de tous les personnages.
La direction musicale de Gianandrea Noseda est toujours un éblouissement. Comme on l’a déjà dit ici, il se murmure que le directeur musical de l’Opernhaus aurait accepté le poste après avoir obtenu la promesse de pouvoir diriger son tout premier Ring. A l’instar des épisodes précédents, son interprétation du Crépuscule des dieux fait la part belle à la clarté et à la transparence, laissant entendre chaque détail de la partition de Wagner. Dans la relativement petite salle de l’Opernhaus (quelque 1 000 places), il fait certes jouer le Philhamonia Zürich très fort, mais le son n’est jamais assourdissant et les chanteurs quasiment jamais couverts. Vrai chef de théâtre, le maestro ne relâche à aucun moment la tension, laquelle va croissant jusqu’au paroxysme final. Gianandrea Noseda sait aussi créer une atmosphère sombre et mystérieuse pour cette dernière journée du Ring. Les deux grands interludes symphoniques qui jalonnent Le Crépuscule des dieux, le « Voyage de Siegfried sur le Rhin » au premier acte et la « Marche funèbre » au troisième, sont confondants de rutilance sonore, avec notamment des accents d’une profondeur incroyable des trombones et du tuba. Sans parler du Finale, tout simplement superbe de sonorités retenues puis se libérant progressivement, trois minutes qui sont parmi les plus belles pages musicales jamais composées.
Ce Crépuscule zurichois est une prise de rôle à la fois pour Camilla Nylund en Brünnhilde et Klaus Florian Vogt en Siegfried ; les deux chanteurs avaient d’ailleurs aussi interprété leur personnage respectif pour la première fois dans Siegfried. Si, dans l’épisode précédent, le chant de la soprano finlandaise avait pu susciter quelques réserves (méforme passagère ?), sa Brünnhilde se révèle ici absolument remarquable : le timbre est délicat et raffiné lorsqu’elle se montre noble, fragile et amoureuse, mais elle a des accents puissants et percutants, allant jusqu’à faire trembler toute la salle, lorsqu’elle doit chanter sa douleur, son désespoir et sa soif de vengeance. Dans le droit fil de l’épisode précédent, Klaus Florian Vogt incarne un Siegfried candide et naïf, un Siegfried qui est resté un peu enfant avec son short de cuir ou encore la joie malicieuse qui se lit sur son visage lorsqu’il s’empare d’une tête de cheval qu’il pose sur sa propre tête. Sa voix claire et lumineuse est à des années‑lumière du Heldentenor qu’on associe généralement au rôle, mais son Siegfried n’était‑il pas en fin de compte un anti‑héros ? On retiendra aussi le Hagen noir et maléfique de David Leigh, aux graves caverneux tout simplement impressionnants. En Gutrune, Lauren Fagan fait, elle aussi, forte impression, avec sa belle présence scénique, mais aussi son timbre rond et plein et sa voix qui passe sans difficultés d’aigus rayonnants à des graves sonores. On mentionnera également la Waltraute vibrante de Sarah Ferede et le Gunther veule et sournois à la fois de Daniel Schmutzhard. A noter que ce nouveau Ring zurichois, qui fera date à n’en pas douter, sera donné deux fois dans son intégralité en mai prochain.
Claudio Poloni
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