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Un Hérode pétri d’humanité Brno Národní divadlo (Janáckovo divadlo) 10/27/2023 - et 17, 21, 25 juin, 25 novembre 2023 Richard Strauss : Salome, opus 54 Jaroslav Brezina (Herodes), Eva Urbanová (Herodias), Linda Ballová (Salome), Birger Radde (Jochanaan), Vít Nosek (Narraboth), Jana Hrochová (Ein Page der Herodias), Zbigniew Malak, Pavel Valenta, Petr Levícek, Michael Robotka, Kornél Mikecz (Fünf Juden), Josef Skarka, Zoltán Korda (Nazarener), Josef Skarka, David Nykl (Soldaten), David Nykl (Ein Cappadocier), Jitka Zerhauová (Ein Sklave)
Orchestr Janáckovy opery Brno, Marko Ivanovic*/Ondrej Olos (direction musicale)
David Radok (mise en scène), Dragan Stojcevski (scénographie), Zuzana Jezková (costumes), Premysl Janda (lumières)
L. Ballová, J. Brezina (© Janáckova opera)
Construit en 1965 et complètement rénové en 2018, le Théâtre Janácek accueille la saison d’opéra de la deuxième ville de Tchéquie avec tout le confort moderne attendu pour ce type de salle, notamment en termes de largeur de scène et de visibilité pour tous. En dépit de son acoustique froide et peu réverbérée, la salle de près de 1 400 places affiche complet pour la reprise de la production de Salomé (1905), créée en juin dernier. Il faut dire que le spectacle réglé par le Tchèque David Radok impressionne d’emblée par sa concentration sur le drame, en élaborant un huis‑clos étouffant et d’une théâtralité passionnante dans le moindre de ses détails.
Apre, austère et granitique, la scénographie laisse entrevoir au début un diner en arrière‑scène, avec Hérode et sa femme, pendant que Salomé soudoie les geôliers de Jochanaan : tous les personnages agissent bizarrement, entre regards apeurés et postures lentes ou saccadées, notamment les serviteurs ostentatoirement affairés. Cette direction d’acteur millimétrée dans chaque geste permet au moindre second rôle de se distinguer, David Radok construisant peu à peu une atmosphère fantastique et irréelle, hors de toute temporalité. Pour autant, il n’en oublie jamais de coller parfaitement aux intentions du livret, insistant par exemple sur les origines sociales différenciées du souverain et de son épouse, opposés autant par leurs costumes (évocation des origines bédouines d’Hérode) que leur attitude, plus arrogante et fière chez Hérodias. Ce spectacle très réussi insiste en effet sur la faiblesse du souverain, ostensiblement fatigué et perturbé, face à une cour d’obligés qui tentent de le manipuler – les femmes en premier lieu. De quoi éclairer ce personnage d’une singularité finalement très attachante et pétrie d’humanité, a contrario de ses comparses. Dans cette atmosphère de fin du monde où tous les repères semblent brouillés, à l’exception des rapports de domination, les religieux ne sont pas davantage épargnés, assistant avec avidité à la danse de plus en plus torride et sulfureuse de Salomé, aux côtés d’un Hérode médusé.
Il fallait précisément un interprète de la trempe de Jaroslav Brezina pour mettre toute son expérience au service de l’interprétation du souverain vacillant : la scène finale bouleversante où il cède à Salomé doit grandement à sa noblesse de phrasé et son attention au sens – un régal tout du long. A ses côtés, Eva Urbanová impose son tempérament vénéneux avec une vaillance tranchante, nous rappelant elle aussi à son passé prestigieux (voir notamment sur YouTube son interprétation tellurique du rôle‑titre de Libuse, à Prague en 1995). L’autre grande satisfaction de la soirée vient de Birger Radde (Jochanaan), qui fait valoir une puissance et une longueur de souffle ardentes, à même de révéler toute la beauté de son timbre. Assurément un chanteur à suivre de très près, tant sa maturité artistique est déjà de haut niveau, y compris de point de vue dramatique. Plus en retrait en comparaison, du fait notamment de sauts de registres trop audibles, la Salomé de Linda Ballová assure toutefois l’essentiel par une technique solide et une expressivité toujours à propos.
On ne peut évidemment apprécier un opéra de Strauss sans rendre justice aux musiciens, très sollicités par la partition et tous exemplaires dans l’exploration des couleurs du drame : même si l’on pourrait souhaiter direction plus extravertie dans la mise en valeur des contrastes, le tapis sonore soyeux et chatoyant, délicatement ouvragé par Marko Ivanovic, n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée.
Florent Coudeyrat
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