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Sans l’ombre d’un doute

Lyon
Opéra
10/17/2023 -  et 20, 22*, 25, 28, 31 octobre 2023
Richard Strauss : Die Frau ohne Schatten, opus 65
Vincent Wolfsteiner (L’Empereur), Sara Jakubiak (L’Impératrice), Josef Wagner (Barak), Ambur Braid (La teinturière), Lindsay Ammann (La nourrice), Julian Orlishausen (Le messager des esprits), Giulia Scopelliti (Le gardien du seuil du temple), Robert Lewis (Le bossu, L’apparition du jeune homme), Pawel Trojak (Le borgne), Pete Thanapat (Le manchot), Thandiswa Mpongwana (Une voix venue d’en‑haut), Giulia Scopelliti et Natalia Bielecka [actrice] (Le faucon), Antoine Laval [figurant] (L’apparition du jeune homme), Frédéric Rebière [danseur butō] (Keikobad)
Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Benedict Kearns (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction musicale)
Mariusz Trelinski (mise en scène), Fabien Lédé (décors), Marek Adamski (costumes), Marc Heinz (lumières), Jacek Przybylowicz (chorégraphie), Bartek Macias (vidéo), Marcin Cecko (dramaturgie)


(© Bertrand Stofleth)


L’entrée au répertoire de La Femme sans ombre à l’Opéra de Lyon pour l’ouverture de sa saison 2023‑2024 restera sans l’ombre d’un doute comme un jalon important dans l’histoire de la représentation de cet opéra philosophique.


La mise en scène en a été confiée à Mariusz Trelinski, cinéaste et directeur artistique de l’Opéra de Pologne. Sa réalisation de L’Ange de feu de Prokofiev avait marqué les esprits au Festival d’Aix en 2018. Son projet parie sur une mise en lumière de l’intrigue complexe et symboliste du livret de Hugo von Hofmannsthal dans la société contemporaine et d’« évoquer la crise des relations amoureuses et les ravages de la dépression dans nos sociétés individualistes ». L’Impératrice est donc dépressive, son ménage à la dérive et le voyage vers le couple de teinturiers qu’elle contribue à défaire puis à ressouder, une épreuve qui l’amènera à refaire le sien et à subir au dernier acte, avant le dénouement heureux pour les deux couples, de faire la paix avec son père. La psychanalyse (l’opéra fut créé à Vienne en 1919) plane bien évidemment sur tout cela et le pari est réussi car la principale qualité de cette mise en scène est sa clarté, notamment lors du redoutable troisième acte, qui décourage souvent l’attention des spectateurs. Malgré, et peut être même grâce à son aspect un peu kitsch (l’Impératrice en robe de mariée blanche avec bouquets de lys et l’Empereur en costume blanc de ténor d’opérette), le message passe plus facilement ainsi que le millefeuille d’images de bonheur avec sa surenchère musicale de chants d’enfants et voix célestes qui clôt l’opéra.


La scène tournante de Fabien Lédé permet de passer très rapidement et radicalement d’un monde à l’autre, des appartements luxueux et vains du couple impérial à l’intérieur petit‑bourgeois et cupide des teinturiers et au dernier acte dans les régions imaginaires du royaume de Keikobad (qui est ici montré, ayant un impact supplémentaire sur la compréhension) à la salle de banquet matrimonial final qui réunit les deux couples. Mais, ombre au tableau, à la toute fin, l’Impératrice reste vieille et seule vivant jusqu’au bout les séquelles de sa maladie dépressive. Les vidéos colorées d’ambiance de Bartek Macias n’ajoutent pas grand‑chose à la magie de l’ensemble, ruinant souvent les efforts d’éclairage de Marc Heinz.


La réussite musicale est aussi forte que le théâtre avec une excellente distribution. Sara Jakubiak est une Impératrice aux aigus sûrs à défaut d’être rayonnants. De même, l’Empereur de Vincent Wolfsteiner, piètre comédien, assure la redoutable tessiture du rôle même si son timbre, qui conviendrait davantage à Bacchus, est plus ordinaire que ne le voudrait le statut social de son personnage. La Nourrice de Lindsay Amman, formidable comédienne avec un physique à la Louise Brooks, est vocalement très convaincante dans sa noirceur vocale aux aigus percutants. Mais c’est le couple de teinturiers qui domine ce plateau, avec Josef Wagner, Barak d’une belle solidité vocale et au timbre chaleureux et terriblement humain. La Teinturière d’Ambur Braid possède dans sa voix la terrible versatilité d’humeur et le caractère vindicatif du rôle auquel elle donne aussi toute sa dimension tragique. Tous les seconds rôles sont parfaits, notamment le Messager des esprits de Julian Orlishausen, dont les interventions sont grandioses, et le Faucon de Giulia Scopelliti, ici doublée par une comédienne un peu caricaturale. De même le rôle du Jeune homme, un peu trop gesticulant pour être crédible, dépare un peu la crédibilité de cet artifice créé par la Nourrice.


Enfin, on n’est pas près d’oublier la performance de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra de Lyon. Daniele Rustioni les contrôle avec une précision chirurgicale mais aussi obtient de l’orchestre des instants de poésie intense en dirigeant une adaptation orchestrale commandée pour l’occasion à Leonard Eröd pour adapter cette gigantesque partition aux dimensions de la salle et de la fosse de l’Opéra de Lyon. De même, Benedict Kearns obtient des Chœurs des interventions quasi surnaturelles ajoutant à la magie musicale de cette impressionnante réalisation.



Olivier Brunel

 

 

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